Le Pharisien Libéré

Gilles Castelnau, qui est parisien, a vu Jesus Camp. Il en ressort terrorisé. Encore que sa comparaison avec les Hitler Jugend ne me semble pas tomber exactement dans la cible. En matière de groupe religieux qui se met au service d’un pouvoir nationaliste dans le but d’en tirer des avantages mutuels, j’aurais pensé aux Deutscher Kirsten, non à cause du film que je n’ai pas vu, mais à cause de l’histoire que j’ai apprise.

Sébastien Fath nous parle aussi de Jesus Camp et replace le film dans le cadre plus vaste des débats du Sénat sur l’encadrement religieux des enfants. Il compare les Amish avec les camps d’endoctrinement évangélicalistes évoqués dans Jesus Camp.

Personnellement, la comparaison présentée par Sébastien Fath m’interroge avant même d’avoir vu le film. Comment comparer deux types de communautés fermées qui diffèrent dans une caractéristique fondamentale ?

• L’une des 2 est en prise directe avec le monde politique et prépare cette jeunesse à une certaine forme d’anthropologie, partant, de participation politique. Dans ce sens, il ne s’agit pas d’encadrement religieux dans Jésus Camp mais d’encadrement politique. Cet aspect est bien perçu par Gilles Castelnau et passablement escamoté chez Sébastien Fath
• L’autre vit une forme de repliement religieux, de type “ordre monacal”, qui lui interdit de participer à la vie politique. On peut regretter qu’une partie des citoyens n’exercent pas leurs droits. On peut toutefois souligner que la laïcité comme la république dont elle est un attribut, au moins chez nouzôtres, permet au citoyen de s’abstenir…

C’est une participation limite que l’abstention. Elle ne nuit qu’à celui qui se tait et, quelque part, c’est son affaire. En revanche, l’autre courant, quoique minoritaire, vise à ruiner la libre expression du citoyen dont l’opinion diffère, dont le style de vie diffère. Dans ce cas, l’irénisme ne saurait être une solution.

La minorité évangélicaliste décrite dans le film (je parle, pour l’instant, selon France-Culture) organise ce même type de participation agressive à la collectivité publique. Je ne peux m’empêcher de penser à ce bouquin introuvable de nos jours parce que paru en 1970 écrit par Jean Kehayan et son épouse. Cela se nommait “Rue du prolétaire rouge.” et avait pour sous titre : “Deux communistes français en URSS. “. L’auteur y racontait la transformation de l’écolier en délateur, qui s’avérait être le plus court chemin pour obtenir le foulard rouge du pionnier.

in vitro

Sur le site du forum de l’évêque d’Amiens se développe un fil de lapidation des Témoins de Jéhovah, en dépit de la Charte du Forum. Ce forum exprime la frange la plus conservatrice (c’est un euphémisme) du catholicisme. En théorie, un modérateur est supposé modérer les débats pour qu’ils demeurent calés au plus près possible de la Charte que tout forumeur signe électroniquement lors de son inscription au cours de laquelle lui sont demandé un certain nombre de renseignements personnels. C’est un forum à inscription et à modération a priori. Pas moyen d’imaginer que le modérateur ne s’est pas rendu compte puisqu’il doit valider la publication des messages. Au lieu de faire respecter cette loi fondamentale, le modérateur participe à la lapidation des TJ, par exemple, en enjoignant au TJ d’abjurer au profit d’une église évangélique.

Pour peu qu’on considère le forum comme une maquette en très petit format de notre société, là est le problème : la loi (ici, la charte) ne protège pas systématiquement le faible (ici, le visiteur d’une autre confession que catholique intégraliste). Elle ne le protège pas parce que la personnalité du modérateur, construite dans une confession qui lui a enseigné qu’elle détenait seule la vérité, ne lui permet pas de faire respecter la loi et, peut-être aussi parce que censurer les excès des intégralistes lui semblerait pécher contre l’unité ¹de l’ECAR.

L’élément déterminant consiste, toutefois, en une petite minorité de catholiques intégralistes, dont le courant ne représente que 7% du catholicisme dans le vai monde, pour lesquels le fait de transformer le forum en arène du “conflit de civilisation” compense le handicap du dissensus spirituel : par l’injure envers l’autre chrétien à part entière mais entièrement à part, la minorité catholique intégriste se donne l’illusion d’être une orthodoxie à défaut d’avoir les moyens de prouver ce caractère revendiqué. Un petit groupe décidé à “faire le coup de poing virtuel” suffit à infléchir l’ensemble d’une micro-société.

dialogue

C’est là que je marque un dissensus avec l’ami Eric Georges, de Miettes de Théologie. Bien entendu, l’évangélicalisme radical demeure une minorité mais, au Etats-Unis, cette minorité a été politiquement incarnée. De même le catholicisme intégraliste est une minorité mais la conjoncture actuelle de l’ECAR où Benoît réintègre le courant de Mgr Lefebvre sans qu’on voit clairement la contrepartie de la négociation ² lui donne un lustre sans contre-pouvoir intellectuel. L’esprit de Vatican II fiche le camp avec le décès successif des théologiens qui furent pères conciliaires. Les mouvements religieux radicaux font du bruit mais leurs théologies ne parle que d’autorité, de légitimité, de pouvoir, c’est à dire sujets dans lesquels s’il est bien difficile de retrouver le message chrétien, on voit clairement les problèmes internes aux diverses confessions chrétiennes qui n’ont pas été résolus respectivement depuis le 16éme siècle ou le 19ème siècle. Le fondamentalisme n’est pas seulement une affaire théologico-politique mais aussi géopolitique ; on pourrait dire qu’en Europe occidentale, me semble-t-il, le fondamentalisme catholique joue le rôle politique du fondamentalisme évangélicaliste aux USA.

Certains hommes ⁴ politiques conservateurs les relaient.

Qu’Eric pense à l’évolution récente de la Pologne qui vient d’être condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’homme ? Qu’il pense à la résistance de Bronislaw Geremek contre un pouvoir catholique de voie de totalitarisation³ ? On pense à l’installation du national catholicisme en Autriche au temps du chancelier Dolfuss ? Aux exigences qu’on a devant l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne au prétexte que l’Islam y serait fondamentaliste, on peut se demander si la Pologne aurait passé le test avec succès si les mêmes critères lui avaient été appliqués ?

Sur ce, quand Eric ira voir “Jesus Camp” à Evreux, qu’il veuille bien me siffler ! ). Je ne suis pas certain que le documentaire parvienne jusqu’à ma bourgade rurale. Cela nous donnera une occasion de parler du film au lieu de parler de sa réception.

notes, humeurs et références

1. ^|mythique
2. ^| sauf que les réintégrés cessent de se proclamer sédévacantistes mais pas d’être négationnistes, pour certains d’entre eux.
3. ^| Ecouter à ce propos la chronique d’Alexandre Adler sur France Culture ce matin. Téléchargeable ici
4. ^|qui ne peuvent être des femmes du fait que plus parti se radicalise, moins il accepte de leader féminin sauf s’il est dans la catastrophe. on met alors une femme pour remonter la pente ; si cela échoue, une explication essentialiste est toute prête ; si cela réussit, les hommes ne manquent pas de poser leur candidature à sa succession

indexation

Technorati Tags: fondamentalisme, intégralisme, évangélicalisme, culture, cinéma, Pologne, Turquie, secte, instruction religieuse, endoctrinement politique

Cet article a été publié le Jeudi 26 avril 2007 à 10:58 et est classé dans Actualités, actualités religieuses, fondamentalisme, Société, politique. Vous pouvez suivre les réponses reçues par cet article grâce au fil RSS 2.0. Vous pouvez laisser un commentaire, ou faire un trackback depuis votre site.