D comme .....

Rouah

Dabru Emet

En hébreu, Dabru Emet signifie "dire la vérité". C'est aussi le titre d'un texte de réconciliation entre quelques juifs de bonne volonté et quelques chrétiens de bonne volonté. Il ne s'agit certes pas de la vérité avec un grand "V", mais de ces petites vérités de chaque instant qui, quand on y manque, empoisonnent l'athmosphère.

Monsieur le webmestre,

Voilà quelques ressentis qui méritent d'être analysés. Ce sera un peu long mais cela me semble fondamental en matière de dialogue inter-religieux, d'examiner les trois ressentis identifiés, puis d'exprimer un point de vue personnel.

Cette réponse n'a pu paraître sur Parvis 21 parce que trop longue, moins longe toutefois que certaines réflexions sur des sujets bien plus porteurs (homosexualité, contestation des groupes cathos-critiques). C'est donc devenu une lettre ouverte

Sur un forum, Parvis 21 s'exprime ainsi dans une conversation sur "être chrétien, c'est croire en un certain nombre de dogmes" :

Réponse de Parvis 21 : Nous avons pensé "catholique" parce que c'est surtout les dogmes spécifiques aux catholiques qui sont critiqués. Personne ne reprochera à un Protestant de croire en un Dieu en 3 personnes. Par contre, un Protestant critiquera un catholique de croire en l'Immaculée Conception ou à l'infaillibilité du Pape.

1er ressenti

parce que c'est surtout les dogmes spécifiques aux catholiques qui sont critiqués.

Expérimentation

Vous embrayez ensuite sur "l'infaillibilité pontificale" et sur "Marie". Vous constaterez en parcourant votre propre forum qu'il n'y a pas de page concernant Marie(*). L'un de vos correspondants catholiques s'en plaignait. De ce fait, il n'y a aucun protestant disant quoique ce soit sur Marie. Ensuite, sur la page Pape, qui traite surtout de sa succession, et de collégialité, il ne me semble avoir vu aucun protestant s'exprimer. La question ne l'intéresse pas.

Il s'agit donc bien d'un ressenti qui ne correspond à aucune réalité.

Dans la page Dogme, on parle de trinité, de divinité de Jésus, de péché originel, qui sont des conceptions propres à tous les chrétiens.

En revanche, dans l'intitulé de votre page "chrétien" correspond bien à "catholique", et c'est ce sur quoi vous avez répondu. Mon propos portait sur le fait que cet en-tête méconnaissait la diversité chrétienne.

Toutefois, c'est un tropisme catholique de croire que les protestants qui font de la critique dogmatique s'en prennent particulièrement aux dogmes spécifiquement catholiques. Cela me rappelle une inervenante catholique sur un "forum en direct" qui voulait croire que l'exégèse protestante se limitait à l'invalidation du verset Matthieu 16, 18. :-))))

Les protestants (ceux de la Concorde de Leuenberg) considèrent que les dogmes sont des adiaphora. C'est à dire l'expression de la foi dans un temps donné, qui méritent d'être examinés à chaque époque à nouveaux frais, de façon à ce que l'expression de celle-ci se fasse dans un langage compréhensible à nos contemporains.

Raisonnement

  • Cela me semble ressortir de cette idée trop fréquente, chez les catholiques, que les protestantismes n'ont d'existence qu'en réaction au catholicisme.
  • Plus généralement, le protestant fait la distinction entre foi et croyances, ce que fait rarement un catholique, pour lequel la foi est comprise comme l'adhésion aux articles d'une confession de foi.
  • Quelques uns ont rencontré les web des églises évangélicalistes dont la spécialité est la critique du catholicisme (au nom de la vérité biblique), sous le vocable méprisant de "romanisme". Cela tient à l'histoire des églises fondamentalistes dont la fondation est l'une des conséquences politiques de l'encyclique Pastor Aeternus et de toute la guerre de religion inaugurée par le Syllabus et poursuivie par Qui Puribus Impar. C'est une fixette analogue à la fixette sur la sexualité que font les catholiques.

Il ferait beau voir que les groupes fondamentalistes résument l'ensemble des théologies protestantes ? Ce type de conception trouverait son équivalent si je disais que tout le catholicisme se résume dans la Fraternité Saint-Pie X (les lefebvristes ralliés). Dans l'ensemble, les protestants ont bien trop à faire pour garder les yeux braqués sur l'ECAR :

sont des sujets qui les passionnent bien plus et qui ne trouvent aucun écho chez nos frêres catholiques.

Toutefois, l'idée est tenace chez les catholiques. Elle tient à cette identité qu'ils maintiennent entre catholique et chrétien.

2ème ressenti

L'équivalence que vous faîtes entre "critiquer" et "reprocher", exprimée de la façon suivante :

Personne ne reprochera à un Protestant de croire

Et :

Par contre, un Protestant critiquera un catholique de croire

L'esprit critique du protestant, outil du Libre Examen, porte bien sur le dogme et non sur le fait de savoir si le catholique avec lequel il en parle y adhère ou non. Cette regrettable personnalisation est la base même de la plupart des rixes de forum. Que le protestant, faisant de la critique dogmatique ou de l'histoire des dogmes, s'en prend à ses croyances, est l'une des doctrines les mieux crues par nombre de catholiques ; je dirais plaisamment qu'ils y croient plus fort qu'à la virginité perpétuelle.

Pour reprendre vos exemples, que dira un protestant de l'Immaculée Conception ?
  • Dans un premier temps, il rappellera que la doctrine n'a rien à voir avec la virginité perpétuelle, ce que croient nombre de catholiques (Faîtes un micro-trottoir pour vérifier !) ; il dira que le dogme a un peu plus d'un siècle, et qu'il n'a aucune base scripturaire.
  • Il ajoutera que l'Immaculée Conception est une question de Christologie qui ne dit rien de Marie,
  • Et le catholique s'indignera : "Tu t'en prends à mes croyances !" et se posera en victime. Il ferait mieux de dire que personne ne le lui avait jamais dit. et que cela l'agace de découvrir l'un des fleurons de sa dogmatique de la part d'un protestant qui semble mieux renseigné que lui ne le fut lors du KT.

Que le protestant, dont la dénomination repose sur "Sola Scriptura" n'adhère pas à cette doctrine ne pose aucun problème. Que le catholique, dont la confession repose sur l'Ecriture et la Tradition y croie ne pose pas plus de problème.

que dira un protestant de l'Infaillibilité pontificale ?
  • Dans un premier temps, il rappellera le contexte historique où naît la doctrine : les discussions de Plombières entre Cavour et Napoléon III sur la rémunération dûe au Pape pour l'abandon d'une partie de ses Etats dans le cadre du projet d'unification de la botte italienne ; la malheureuse interruption du concile Vatican I par la guerre de 1870.
  • Dans un deuxième temps, il fera l'analyse chapitre par chapitre de l'encyclique Pastor Aeternus, en s'attardant sur le chapitre 3 qui est une réaffirmation de la primauté. Il expliquera les conséquences politiques de l'encyclique Pastor Aeternus et l'usage qui en fut fait depuis sa promulgation. Sa position sera grosso modo la même que celle de l'église catholique gallicane
  • Dans un troisième temps, sur un plan théologique, il rappelera toute la dynamique collégiale définie par le Concile Vatican II, bien démenti depuis par le motu proprio Ad tuendam fidem (qui réintroduit une espèce de serment anti-moderniste) et la déclaration Dominus Jesus.
  • Dans un quatrième temps, il critiquera l'usage qu'on fait : mettre l'infaillibilité à toutes les sauces, comme je l'ai souligné dans votre page Euthanasie, à partir des reflexions d'Yves Congar o.p. (cardinal de l'église romaine, tout de même ?)
  • Et le catholique s'indignera : "Tu t'en prends à mes croyances !" là où le protestant croira avoir fait de l'histoire des dogmes et un abrégé de politique européenne depuis le 19ìme siècle. En effet, le catholique croit que l'histoire de l'Eglise (entendre catholique romaine) est indépendante de l'histoire des pays où elle se déploie et qu'elle est entièrement conduite par l'Esprit. Cet aspect est une conséquence de la croyance que l'ECAR serait une institution plus qu'humaine.
Personne ne reprochera à un Protestant de croire

Pour un protestant, la doctrine est relative. Il ne portera donc aucune critique sur ce à quoi croit le catholique. En revanche, aucun catholique (pour qui la religion ne se comprend qu'à partir du dogme) ne se génerera pour traîter unilatéralement d'apostat ou de non chrétien un réformé libéral qui se révélerait être unitarien. Utilisant sa doctrine en une abusive référence universelle, Il suggérera même qu'il en devrait avoir honte.

On entend aussi parler "d'ex-catholique" pour parler d'un protestant venu dans une église issue de la Réforme à l'âge adulte. Il n'est pas de meilleure façon de nier l'évolution spirituelle que l'interlocuteur a voulu marquer en faisant cette démarche.

Enfin, voyez sur votre propre forum, les quelques québecquismes auxquels j'ai répondu ! :-)))

3ème ressenti

Nous avons pensé "catholique" parce que c'est surtout les dogmes spécifiques aux catholiques qui sont critiqués.

J'attire votre attention sur deux points :

Nous sommes sur un web chrétien, il y a donc assez peu de chance qu'on discute d'autres sujets que chrétiens.

Du fait que les protestants distinguent la foi des croyances, et du style de nos instructions religieuses, qui commencent par apprendre à nos gosses à contempler la piété des autres, comme je l'ai dit plus haut, leur regard critique (qui n'est pas systématiquement un regard de reproche) s'étend à bien d'autres sujets que catholico-protestants. Malheureusement, nos frêres catholiques sont assez peu pressés de regarder ce qui se passe dans le jardin du voisin, se contentant du regard apologétique, c'est à dire condescendant, sur la religion des autres (comme je l'ai souligné dans vos pages ou dans d'autres quand je faisais trop long).

De ce fait, nos frêres catholiques ne repèrent dans les aspects critiques QUE ceux concernant leur propre dogmatique sans se rendre compte qu'elle concerne aussi la dogmatique de nombres d'églises protestantes… dont ils ne connaissent rien. Alors, ils convertissent en "reproche personnalisé" ce qui est un libre examen d'une dogmatique très générale parce que très répandue.

Le jour où l'ECAR prendra l'oecuménisme au sérieux, elle introduira dans ses instructions religieuses, (se mieux connaître, dit Unitatis Redintegratio) un survol non apologétique des autres religions chrétiennes et l'on entendra plus cette sottise insigne "Les protestants se sont séparés de Rome parce qu'ils ne voulaient pas reconnaître la Vulgate" (lu sur fr.soc. religion)

note 1A la date du 4 juillet, aucune page sur Marie n'était ouverte, après de nombreuses années en ligne.

Mon point de vue personnel

Qui ne vaut que ce que valentt 5 ans d'expérience du dialogue inter-religieux sur internet.

C'est fou la quantité de choses sur le catholicisme et les textes produits par l'ECAR qu'un protestant doit connaître pour passer pour un interlocuteur sérieux dans le dialogue avec les catholiques. La réciproque n'est pas vraie. Entre autres, il faut avoir une connaissance approfondie des 25 kg de documents du Concile Vatican II et, parmi eux, connaître pratiquement par coeur, la constitution Gaudium et Spes, Unitatis Redintegratio, Lumen Gentium. Il faut aussi s'être approprié "Divino Afflente Spiritu" et "Fides et Ratio". Hors de cela pas de dialogue possible !

Je n'ai pas encore rencontré un catholique qui sache me dire les sujets qui agitèrent le Synode des Eglises Réformées de 1872, lequel eut un impact sur de nombreuses églises issues de la Réforme dans un mode dépassant l'Europe de loin. Quelques uns d'entre eux croient que l'Accord sur la justification par la foi avec la FML est un accord de fusion d'église et une amie catholique a déclaré à mon fils, qui se trouve être luthérien, "Alors ? tu es presque catholique ?" On notera la délicatesse. Et non : mon fils, qui a 20 ans, est un luthérien très libéral !

Un grand nombre de catholiques croient, plus qu'à la virginité perpétuelle, que l'oecuménisme a été inventé par Jean XXIII lors du concile Vatican II. Pourtant, une petite phrase parle de l'antériorité de travaux des protestants en la matière. Il aurait été dommage que le pape fasse semblant d'ignorer que, dans les années 30, l'évêque luthérien Nathan Sonderblöm reçut le Prix Nobel de la Paix, pour cette activité. Son nom n'est jamais cité dans aucun document. On continue donc de dire "Quarante ans d'oecuménisme" comme si le dialogue inter-religieux commençait au moment où l'ECAR finissait par accepter d'y entrer.

Les doctrines catholiques les plus critiqués par les protestants et les laîcs ne sont donc pas les fameuses divergences notoires et historiques ; elles portent sur la strat&eacue;gie. Ce serait plutôt :

  • son attitude ambiguëe en matière de dialogue inter-religieux,
  • sa pusillanimité envers les sciences religieuses
  • la catéchèse des enfants qui ne les prépare pas à vivre dans la réalité d'un monde pluraliste

En revanche, les conséquences doctrinales de cette stratégie (comme cette facilité à adopter une position victimaire comme position de repli stratégique préparée à l'avance pour les cas où l'argumentation fait défaut, ou encore à décrire l'argumentation ou la réflexion de l'autre par le vocable "polémique".) sont bien plus largement crus que les dogmes officiels et cette croyance ressort :

  • des sequelles de la crise moderniste, qui n'est pas derrière les catholiques mais devant eux,
  • de ce que les églises se disent les unes aux autres en effets secondaires de leurs pastorales,

Cordialement,

Le Mulot

Voir aussi

"en travaux"

Dabru Emet


Mots Dire