Litteraliste = vrai croyant ?
13 octobre 2009L’un des sports favoris des Q/RIstes athées consiste à interroger le chrétien sur les “contradictions de la Bible“. Si l’on construit des réponses circonstanciées, par exemple via l’histoire des textes ou les genres littéraires, on obtient facilement ce type de réponse :
“En même temps ne plus prendre les textes au pied de la lettre est-ce vraiment encore être de cette religion?”
C’est l’argument de Jean Bricmont (qui en est resté au concordisme)selon lequel tout croyant qui réfléchit à sa religion et pour cela acquiert une certaine culture, ne serait pas “sincère“.
- D’une part, cela signifie que ce type d’athée choisit son adversaire : le croyant littéraliste. Le fait est qu’il est plus facile à déstabiliser que le “fidèle“, c’est à dire le celui qui adhère à une religion autrement que les yeux fermés.
- D’autre part, cela signifie que l’athée qui fait cette remarque, “que celui qui n’est pas littéraliste n’est pas sincère” ou “pas croyant“, reconnaît comme orthodoxie de n’importe quellle religion, le courant fondamentaliste. Ce qui en dit long sur la culture en matière de “fait religieux” de l’athée en question !
En quelque sorte, n’ayant rien à répondre, il préfère classer ces “croyants non littéralistes” en hérétiques, voire en apostats.
1- Envisager des questions religieuses sous l’angle de la théologie, voire de la théologie comparée, nécessite une culture
dont l’athée modèle Bricmont ne dispose pas ; en outre cela nécessite de disposer des outils des sciences humaines, ce que Bricmont et ses adeptes refusent d’entrée de jeu.
Dans une émission “science culture” sur France-Culture, il a admis que son pamphlet écrit avec avec Sokal (1997), qui lui a donné la célébrité (bien plus que les travaux de physique théorique qui lui permettent de professer à Louvain) , avait surtout pour objectif de montrer que les sciences humaines n’étaient pas des sciences.
Le fait est qu’on aurait pu retourner cette critique concernant l’usage du vocabulaire des sciences dures par les gens de sciences de humaines aux gens des sciences dures quand ils utilisent le vocabulaire des sciences humaines, voire de la théologie. Ainsi, quand les mathématiciens parlent de “mathématiques transcendentales“, de quoi nous parlent-ils ? Et quand on parle de vocabulaire abscons, je conseille à quiconque veut en tâter d’écouter les conférences de mathématiques ou de biologie du Collège de France qui sont podcastables !
Les scientifiques concernés répondent que le problème vient du manque de bases de l’auditeur (et donc de l’apprenti défaillant et la difficulté n’est pas du côté du scientifique, cela va de soi) ; ce qui ne tient pas bien la route quand on écoute des choses aussi spécialisées que les conférences de Anne Cheng sur les philosophies chinoises qui sont immédiatement compréhensibles pour un auditeur de niveau bac (à savoir 80% d’une classe d’âge, n’est-il pas ?), en dépit des citations en chinois.
On peut donc conclure que la volonté de préserver un pré carré “sélectif” conduit les “scientifiques” des sciences dures à ne pas prendre le temps de préparation pédagogique pour rendre leur objet communicable [1 Stella Baruch].
Il en résulte que, l’athée préférant débattre (et gagner facilement)
contre le croyant littéraliste mais se trouvant dans l’impossibilité de gagner devant l’autre, le fidèle, préfère le classer comme “hérétique” voire en “apostat” (le vocabulaire de celui qui revendique l’orthodoxie) plutôt que de trouver un autre mot que celui désignant celui qu’il tient pour un débile définitif” : le “croyant”
Il pratique alors un dénigrement par le jugement moral plutôt que par l’argumentation rationnelle, juste parce que le fidèle le met dans une situation où, ne pouvant gagner dans le combat prosélyte, son image de lui en tant que “maître de la Raison, de la logique et de la libre culture ” en prend un “sacré” coup !
En cela, il utilise “l’ultime stratagème” décrit par Schopenhauer, l’insulte, dans la manière du “croyant“, celui-là même qu’il dénigre usuellement, en posant sa vérité : le fidèle est un apostat . Il épouse en cette occasion le point de vue du débile d’hier.
Le problème est donc bien le prosélytisme
in vivo
A l’appui de la déclaration qui me sert de point de départ, un Q/Riste m’écrit la chose suivante (en substance) :
“*sur son site l’église catholique écrit que Genèse 1 est un mythe symbolique
*sur les sites athées, les athées écrivent que la Bible est un mensonge
*l’église catholique est donc un site athée”
Cette déclaration tombe exactement dans la trappe décrite dans mon exposé ci-dessus. En effet, ce raisonnement nous montre deux choses :
- l’auteur de ce syllogisme ne maîtrise pas les règles du syllogisme juste. En effet, le raisonnement syllogistique obéit à des règles précises que celui-ci ne respecte pas. Il est donc faux sur le plan méthodologique et sa conclusion en souffre.
- en dépit de cette erreur de méthode (qui fait tomber le dogme que l’athée est le maître de la raison raisonnante), le syllogisme porposé nous informe que l’auteur du syllogisme procède à l’équivalence entre “mythe” et “mensonge“
Dans ce cas, c’est le manque de connaissances en littérature. L’auteur du syllogisme ne connaît que le sens commun du mot “mythe” et ignore le sens littéraire du même mot, ce qui l’empêche de comprendre la phrase issue du site de l’église catholique. Et pourtant, l’ECAR avait pris la précaution de pratiquer la redondance en ajoutant l’adjectif “symbolique“.
Pour notre militant de l’alternative “littéralisme v/ apostasie“, le mythe, le symbole sont synonymes de “mensonge“. On peut penser qu’il aura autant de difficulté à comprendre des genres littéraires voisins comme “midrash“, “parabole“, “fable“.
On comprend donc que l’alternative en question ne tient la route qu’à la condition d’avoir des lacunes en philosophie et en littérature. Nous sommes donc dans un cas exemplaire de mon exposé ci-dessus.
en savoir plus
- John Hick, God has many names. En fin d’ouvrage, l’auteur explique que le savoir sur les religions est en vente libre.
- Pour comprendre la différence entre “mythe” et “mensonge“, voir Jean-Pierre Vernant, mythe et pensée chez les grecs, 1965. Pour les essentialistes, rappelons que Jean-Pierre Vernant éminent historien et philosophe était athée ; ce n’est donc pas une explication ad usum delphini, mais une explication universitaire donc “scientifique”
- Echec et maths, Stella Baruk, Seuil/Points
indexation
Identificateurs Technorati : athéisme, dialogue interreligieux, athéisme comme religion, prosélytisme, prosélytisme athée, fait religieux, sciences religieuses, sciences humaines