Redire Nicée, Constantinople et Chalcédoine ?

Plusieurs ont récemment contesté l’importance donnée au Symbole des Apôtres . Il est certes discutable qu’une confession de foi s’impose comme référence unique aux Églises. Pourtant, il me semble constant qu’à toute époque les croyants, les croyantes et les communautés cherchent à dire leur foi en Dieu pour partager et prier ensemble.

Pouvons-nous cependant nous contenter de répéter les anciennes formules à l’identique, avec les mots qui les ont vu naître ? L’exigence n’est-il pas plutôt de dire aujourd’hui nos convictions avec des mots compréhensibles par nos contemporains ? Je sais que tout mot sera approximatif et que d’autres devront à leur tour réformer ces affirmations balbutiantes, mais il me semble indispensable de m’y risquer.

Un Dieu trinitaire

J’ai appris que le Dieu des chréétiens était unique et néanmoins “union des trois personnes, égales et consubstantielles en une seule nature”. Le moins qu’on puisse dire c’est que cette affirmation n’émeut guère les chrétiens d’aujourd’hui qui la répètent sans forcément la comprendre et sans toujours être capable de l’expliquer à un quelconque incroyant ou même à un catéchumène ‚ cette allégation est parfaitement incompréhensible par le commun des mortels et même par les croyants, cette déclaration s’est pourtant imposée comme essentielle dans la compréhension qu’a l’Église de sa foi.

Dans cet article, je vous propose d’abord un double regard actuel sur le mot “personne”. Je vais ensuite remonter au grec et au latin à l’origine de la formule trini-taire en essayant de retraduire chaque langue en français. Dans une troisième partie, je formulerai ma manière de parler aujourd’hui de et à Dieu.

Qu’est-ce aujourd’hui une personne ?

Il y a trois personnes distinctes

Habituellement, le mot “personne” désigne un individu capable de pensée auto-nome et à ce titre sujet de droits et de devoirs. À ce propos, quelqu’un a-t-il pastiché la Déclaration Universelle des Droits de la Personne à l’occasion de son cinquante-naire pour rédiger celle des Trois Droits de Dieu ?

Quand on parle des trois personnes de Dieu, les non-spécialistes pensent à trois autonomies, trois volontés apposées l’une à coté des autres et pourquoi pas opposées l’une à l’autre. Ainsi il y aurait la personne du Père à coté de la personne du Fils et de celle de l’Esprit. Cette pluralité d’êtres implique des points de vues différents, sinon il n’y aurait pas trois personnes, mais une seule en accord avec elle-même.

Andreï Roubleief a ainsi peint sur une icône un Dieu sous forme de trois doctes barbus devisant gravement entre eux. Que se disent-ils, quels sont les sujets de désac-cords entre eux qui nécessitent ces discussions éternelles ?

Pour le contemporain, parler de trois personnes en Dieu suscite l’idée de désac-cords potentiels, de conflits d’intérêt entre elles. Dans cette ligne de pensée, pour beaucoup de juifs et de musulmans, les chrétiens ne sont pas des vrais monothéistes car ils disent adorer trois Dieux indépendants même s’ils sont interdépendants. Dire par exemple que Dieu a envoyé son fils Jésus Christ ou que le Père donne aux humains l’Esprit, le Saint, renforce une indépendance d’agir et une hiérarchie de pensée entre les personnes de Dieu, ce qui ne permet pas de comprendre facilement qui est ce Dieu unique.

Pour beaucoup d’incroyants si Dieu a envoyé Jésus sur terre, c’est qu’il voulait le faire assassiner par les juifs (ou par les romains) et si le Père et le Fils sont Un, cet Un souffre singulièrement de schizophrénie.

Il n’y a personne

Une signification du mot “personne” est actuellement de désigner un rien, une absence. Si Dieu est personne, pourquoi dépenser tellement d’énergie pour en par-ler ? Si Dieu est rien, pourquoi s’en préoccuper ? On rejoint ainsi le sentiment diffus du silence de Dieu devant le mal, de son ab-sence à Dachau, voire de sa mort à Buchenwald. Pour beaucoup de contemporains, Dieu n’est plus personne.

Il est vrai que Dieu est trois personnes et que si personne est rien, avec trois fois rien on fait déjà quelque chose, … Aussi vaut-il encore le coup de continuer de cher-cher à rencontrer ce presque rien qui est tout.

Bref notre discours sur un Dieu un et trinitaire en trois personnes est assez obs-cur.

Du grec au latin

Des hypostases grecques…..

Depuis le concile de Chalcédoine, la théologie orientale grecque utilise le mot “hypostase” upostasis (upostasis) pour désigner les personnes divines comme ayant chacune une existence propre et indépendante. À l’origine, le mot désigne un support, puis a été étendu à la substance, à ce qui est au dessous de l’apparence.

On pourrait peut-être dire que Père, Fils et Esprit sont des mots pour désigner les supports qu’utilise le Dieu unique pour se faire connaître. Les supports de Dieu ne sont pas des Dieux distincts ; le fait que Dieu utilise plusieurs supports n’implique qu’une pluralité d’apparences et de dialogues avec l’humanité, il n’induit pas une plu-ralité d’êtres.

Cette formulation laisse intacte l’unicité de Dieu, mais elle est assez incompréhen-sible pour le commun des mortels.

Les essences de Dieu

Une traduction possible de hypostase est le mot “essence”. On pourrait parler des trois essences de Dieu qui sont d’une même substance.

Le coté positif du mot est qu’il montre que Dieu sent bon comme une fleur qui développe plusieurs essences, plusieurs parfums, distincts et cependant semblables, selon l’heure ou selon la personne qui la porte. Dieu vaut le coup d’être approché par les humains qui sont grandis quand ils s’imprègnent de sa quintessence.

Certains amis athées militants ironiseront sur le caractère évanescent de Dieu qui s’évapore aussi rapidement qu’une essence de pétrole. Ou encore que l’Esprit de Dieu s’est enflammé trop rapidement pour Marie et qu’il joue avec l’humanité comme un flambeur avec une machine à sous.

…..aux masques latins

Le terme personne utilisé par les théologies occidentales a pour origine le mot la-tin personna, lui-même du grec prosopon (prosopon). Ce mot désigne initiale-ment le masque utilisé par un acteur pour jouer au théâtre où l’acteur se cache der-rière un masque pour faire vivre un personnage sans se confondre avec lui.

Ce vocable permet de comprendre que Dieu est connu par ces (ses) trois person-nages comme l’acteur donne à connaître le héros qu’il personnifie, Dieu n’est pas con-fondu avec eux comme l’acteur n’est pas ce héros. Le masque donne à voir le héros. Par sa forme convenue le spectateur reconnaît le caractère joué, il sait quelle attitude attendre du personnage en fonction de la forme, du rictus, de la couleur du masque. Le masque droit et rigide indique un roi, le masque grimaçant la douleur, … En cachant qui est derrière lui, le masque donne à voir le sens masqué.

Ainsi Dieu se donne à voir derrière des masques. Il n’est pas possible de voir Dieu sans mourir aveuglé de sa clarté, pourtant comme humains sensibles nous avons be-soin d’approcher et d’entendre Dieu, aussi utilise-t-il ce subterfuge pour se laisser voir indirectement sans être vu directement. Pour mieux se laisser approcher, Dieu choisit de mettre un écran entre lui et nous, et comme un seul écran le cacherait, il a choisi d’en utiliser trois qui nous montrent trois aspects de son être. Chacun d’eux ne brille que du tiers de sa lumière, ce qui nous le rend moins éblouissant et donc perceptible.

Le désavantage de cette image pour parler d’un Dieu pluriforme est qu’au théâtre le masque est plus important que l’acteur, puisque le signifié est le personnage éternel symbolisé par le masque et non pas l’acteur relativement interchangeable. Ce serait comme si le Dieu d’Abraham, d’Israël et de Jacob pouvait être remplacé par un autre du moment que ses masques père, fils et esprit, soient conservés. Or c’est au contraire Dieu qui est invariant alors qu’il s’est donné à voir d’une manière évolutive par les prophètes puis par Jésus, puis dans son Église.

La difficulté de cette image du masque, est que pour beaucoup un masque cache la réalité derrière lui, ou même la maquille pour faire voir l’apparence plutôt que la vérité. Ainsi prétendre que Dieu a besoin de masques peut être compris comme s’il voulait se cacher de peur qu’on le connaisse en réalité. Dieu ferait alors semblant en adoptant des attitudes ou des comportements falsifiés.

Parler en terme de rôles

À partir du masque théâtral latin, ne pourrait-on pas alors parler des trois éléments trinitaires comme des rôles distincts qu’utiliserait le Dieu unique pour se faire savoir ? Cette formulation permettrait de dire avec des mots humains que Dieu a plusieurs manières d’être, tout en étant unique, le Un, (hébreu : ‘ékhad).

Celui qui est derrière le rôle donne vie à ce rôle et le donne à voir, il est acteur du rôle sans se confondre avec lui. Comme professionnel des rôles, il ne se révèle vrai-ment que quand il est un rôle ; il se révèle aux autres en étant un rôle, il se révèle pleinement en étant plusieurs rôles dans plusieurs pièces successivement ou même si-multanément.

De l’autre coté de la scène (de la cène ?), le spectateur ne peut connaître l’acteur qu’en regardant le rôle qu’il joue, et cette approche laisse entier le mystère de l’être acteur derrière le rôle. Cependant, le défaut du mot rôle est qu’il peut donner l’impression que Dieu n’est pas chacun des trois rôles qu’il s’est attribué et qu’il est autre que les trois personnages de sa “pièce”. On pourrait aussi chercher l’auteur anonyme qui a écrit les rôles que Dieu joue pour nous, comme s’il y avait un autre dieu qui animait les trois marionnettes que nous connaissons sur le plateau.

Pourrions nous parler plutôt d’un spectacle joué par l’auteur, d’un “one man show” avec un auteur acteur et trois personnages ; cela éliminerait la dualité des personnes entre acteur et auteur tout en manifestant une altérité entre les trois rôles.

Une autre difficulté de l’image du rôle est qu’il est “joué” par un acteur, ce qui laisse supposé que Dieu joue un jeu avec le monde, ou même qu’il se joue de nous en ayant inventé ce monde aux règles complexes qui lui échappe tant il s’est déréglé en cyclones et en guerres.

Dieu comme agir

Avec l’utilisation du mot “hypostase“, je me situais dans une lignée de croyants ; avec “acteur“, je voulais indiquer que Dieu était une pluralité de personnes sans être réduit à qui il faisait voir ; avec le mot “rôle” j’insistais sur la diversité des actions ac-complies par Dieu, mais Dieu n’est pas l’action qu’il fait.

Je dois me passer des substantifs désignant les acteurs et les actions pour constater que

Dieu s’est révélé dans des actes auprès du peuple d’Israël puis auprès de tous en Christ. Tout vocabulaire ne saurait être satisfaisant ; faute de mieux, il me faut me contenter de mots assez plats et proposer un verbe liant l’acteur et l’action.

Dieu ne pourrait-il pas être dit comme étant plusieurs agir ?

Agir paternel

Dieu est père agissant comme source de vie, quand il crée par sa parole selon Genèse 1, et avec les prophètes qui parlent sa voix. Il agit en père quand il crée par ses gestes selon Genèse 2 et en relevant Christ de la mort pour nous permettre d’être aus-si relevé de nos morts.

Comme un père agissant, Dieu offre la liberté aux humains et donc la possibilité et la nécessité pour nous de nous opposer au père pour exister. Comme agir créateur Dieu est mère qui accouche sa création, qui aime avec ses entrailles, qui porte ses en-fants contre sa joue.

Dieu est père, mon père, quand il agit au dessus de moi, comme un tout autre qui n’est ni moi, ni dépendant de moi. Dieu est père et mère quand il et elle donne et la vie et le salut, c’est-à-dire la capacité à le rejoindre.

Agir filial

Dieu est fils agissant quand il sort de lui-même pour être dans le monde, comme un fils il prend son héritage, part du ciel douillet paternel et n’hésite pas à descendre dans notre réalité. Dans cette incarnation, le fils se tourne vers le père pour faire, obéissant, ce que son père désire. Il vit aussi à sa manière, différent de son père, selon ce qu’il a appris.

Comme un fils agissant, Christ transforme de l’intérieur l’univers voulu par le père créateur du monde mais extérieur à lui. Cet agir a été en Jésus et sera tant que durera le mal. À coté du père de qui sont toutes choses, il y a la place du fils montrant le père et par qui tous et toutes nous sommes orientés vers Dieu. Ayant vaincu la mort, le fils rédempteur renouvelle la vie donnée par son père.

Dieu est fils, mon frère, quand il agit à coté de moi, proche et autre qui a choisi de dépendre de ma présence au long de notre route commune.

Agir spirituel

Dieu est esprit agissant quand il déploie l’action créatrice accomplie par le père de l’extérieur et l’action créatrice (rédemptrice) accomplie par le fils de l’intérieur. Il planait au dessus des eaux et du tohu bohu, il est l’agir présent dans le monde. Il fut expiré (soufflé) par l’agir filial sur la croix.

Comme un esprit agissant, Dieu inspire les prophètes pour qu’eux à leur tour agis-sent au sein du peuple par la parole et par l’action poursuivant ainsi le désir du père. Il est reçu par les apôtres lors de Pentecôte. Il nous assemble en communauté, il est ac-tion remontante du monde vers Dieu dans un mouvement croisé de celui de l’agir père.

Dieu est esprit, mon souffle, quand il agit en moi, intérieur et autre qui a décidé de m’aider à progresser sur les chemins de la vie. Il est feu d’amour et elle est présence de la divinité en tout homme et en toute femme.

Parler de cet agir

Si j’affirme Dieu comme se révélant agir, j’exprime que je ne peux approcher Dieu que dans ses agir. Dieu est tellement autre que je ne peux pas le dire en d’autres mots que par les actes qu’il m’a donnés à voir au cours de l’histoire de l’humanité.

Certes, je peux encore dire que Dieu est, mais je ne peux ajouter Dieu est ceci ou cela. Car ce discours me ferait parler d’un Dieu en soi, abstrait, théorique alors que je crois qu’il a choisi de ne se laisser approcher que par son agir, de se révéler par ses ac-tions.

D’ailleurs peu m’importe que Dieu soit bon s’il n’a pas d’agir bon envers son hu-manité et si je ne suis pas en mesure, aidé par la communauté croyante, de le voir bien agissant. Est-il possible de dire que Dieu est tout-puissant si lui a choisi de ne pas agir en majesté, mais seulement par une présence humble et discrète ?

Pour parler de ce Dieu agir, j’ai spontanément respecté une triangulation agir pa-ternel, agir filial, agir spirituel. J’ai voulu agrandir cette vision et j’ai exprimé son agir maternel, son agir fraternel et son agir de feu, mais je me suis coulé dans un discours trinitaire.

Je me demande maintenant si tout l’agir divin doit être lu dans la grille d’analyse classique “père, fils et esprit” ou si Dieu se fait voir dans d’autres agir indépendants qui permettrait à un croyant de parler de notre Dieu quaternité ou plus encore …

Jean-Luc Dupaigne

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