La crise de l’origine : la science catholique des évangiles et l’histoire au 20ème siècle

Le livre de de François Laplanche, paraît dans la collection l’évolution de l’humanité, fondée par Henri Berr chez Albin Michel. C’est 30 euros et vous ne le regretterez pas. Cet ouvrage répond à la question souvent posée sur les forums catholiques quand s’exprime un participant protestant qui distille quelques fragments d’exégèse scientifique : “Mais pourquoi donc est-ce que tous s’enflamment ?” . Il est donc recommandé aux lecteurs catholiques sans formation théologique particulière de le lire en tête à tête avec eux-même en sorte de s’économiser un réflexe à la René Remond[1] : ce livre ressort du nouvel anti-christianisme en tenant compte du fait que René Rémond emploie fréquemment christianisme pour dire catholicisme.

  • Pourquoi le catholique néo-orthodoxe (courant Christcity) s’enflamme-t-il dès qu’on parle des pharisiens au 1er siècle de notre ère et qu’on suggère que Jésus pourrait bien avoir été pharisien (comme toute une école –et même deux—) le suggère ?
  • Pourquoi la FSPX prétend-elle que si “la Science” est en contradiction avec l”l’Eglise”[2], c’est l’église qui a raison et la raison qui doit se soumettre ?
  • Pourquoi tant d’autres (voir ce morceau d’anthologie lu sur un forum[3] qui dit l’estime du catholique de base pour un travail scientifique universitaire) prétendent que tout tronçon d’exégèse qui bouscule la doctrine la plus officielle de l’ECAR est une entreprise anti-catholique ?

A cause de la crise moderniste qui n’est toujours pas résolue !

Au premier tiers du 19ème siècle, la révolution philologique, l’archéologie biblique, l’orientalisme, ont fait faire un grand bond en avant à l’histoire du christianisme “primitif“. Pas de chance : l’ECAR avait déjà statué sur ses origines et, comme elle l’avait fait exclusivement sur des bases apologétiques (donc politiques car, selon le mot de Congar o.p., “depuis le concile de Trente, l’Église est uniquement anti-protestante”) elle n’était pas prête à remettre ses doctrines sur le métier pour les revoir. Elle préféra dogmatiser (donner la force de dogmes à des affirmations qui n’en sont pas sur le plan du droit canon) ses affirmations, créer plus d’institutions de répression de la pensée que d’institutions de recherche, punir et faire taire tous ceux qui se mêlaient de recherche et même s’ils donnaient les meilleures garanties idéologiques comme ce bon Lagrange que d’aucuns voudraient canoniser.

En sorte que si l’exégèse scientifique a grandement conquis sa liberté, elle n’a toujours pas conquis le droit de descendre dans le grand public catholique cultivé ! Pour l’exégèse canonique, il n’y eut jamais de problème de publication ni de diffusion, sauf les regrettables tentatives de la faire passer pour scientifique ; cela ne réussit jamais car l’exégèse scientifique se produit dans la confrontation des idées de tous les courants religieux et de toutes les nations en présence.

Nous ne somme plus au temps de Loisy

L’ECAR n’en est plus au temps de Loisy évoqué dans l’article sur l’ETS et la déclaration de Chicago de 1978. La démarche est beaucoup plus souple. Toutefois, la commission biblique pontificale fixe clairement les limites, en omettant que l’exégèse biblique est une science dont le public n’est pas seulement catholique:

« L’exégèse catholique n’a pas le droit de ressembler à un cours d’eau qui se perd dans les sables d’une analyse hypercritique. Elle a à remplir, dans l’église et dans le monde, une fonction vitale, celle de contribuer à une transmission plus authentique du contenu de l’écriture inspirée ».[4]

Tout ouvrage de vulgarisation de qualité est critiqué, découragé, récusé, etc… Un bon exemple de cette démarche souple pour empêcher le public catholique de muscler ses connaissances en exégèse scientifique est la lettre des évêques concernant les séries d’ARTE Corpus Christi et “les origines du Christianisme” sur ARTE, en sorte de mobilier les bien-pensants en distillant des accusations produites par des intellectuels organiques qui demeurent anonymes![5]

Etude de cas

Voici la note d’introduction de Jean-Louis Bruguès, évêque, qui se décompose de la façon suivante

  • une introduction qui met en garde le téléspectateur ; celui-ci doit avoir bien du courage pour aller plus loin,
  • l’accusation de partialité faite aux réalisateurs, une partialité bien difficile à soutenir quand on se souvient que le principe de la série est un tour de table entre chercheurs sans consensus, sauf à comprendre que tout ce qui ne recoupe pas l’exégèse canonique catholique est partial ?
  • la critique du montage comme attestation de partialité. Certes, les réalisateurs ont fait le tour des laboratoires de recherche, rencontré les chercheurs un à un, posé à chacun la même liste de questions pis monté la question suivie des réponses diverses. Pour autant, le dialogue est-il fictif comme l’affirme la note des évêques ? En apparence seulement, car le “collège invisible” dans la recherche scientifique, est un lieu de discussion constant ; ces dernières années, il est rendu plus aisé par les listes de discussions de spécialistes sur l’internet,
  • une liste d’inexactitudes que la note attribue aux réalisateurs. Il se trouve que les réalisateurs ne soutiennent aucune de ces inexactitudes. En revanche, elles sont bien une la liste de doctrines secondaires enseignées par l’ECAR (par exemple que Paul est un converti de la première heure au christiansime) que critique la série
  • Une conclusion qui montre où se situe la panique des évêques où le négatif, bien évidement, l’emporte que le positif [6]

La critique pour la critique” est le procès d’intention traditionnel du catholique de base à tout émetteur d’un énoncé exégétique ou historique. C’est un équivalent de “anti-catholique“, plus usité dans les années 1920-30. En effet, l’opposition est claire entre :

  • les mauvais “La critique pour la critique” : clairement l’exégèse allemande qui se trouvait être protestante pour des raisons historiques,
  • les bons, ceux de la « quête de sens » (entendre religieux plutôt que spirituel) c’est à dire les partisans de l’apologie se substituant à l’histoire. L’exègèse “narrative” allume un contre-feu dans ce sens.

Cette préoccupation est celle-là même de la crise moderniste. D’un côté, les autorités de l’ECAR se rendent bien compte qu’elles ne peuvent faire mur et empêcher toute recherche et qu’interdire toute publication de source catholique met en difficulté l’intellectuel catholique devant les autres intellectuels. De l’autre côté, il s’agit bien de dogmatiser le caractère historique de l’AT comme du NT mis en doute par les recherches récentes (récentes… bon, depuis 1848, tout de même sachant que je place mon point d’observation vers 1925-30).

Le lecteur catholique, bien entrainé par sa hiérarchie, est donc hérissé[7] chaque fois que l’histoire ou la philologie remplace l’apologie parce qu’ils ne sait pas grand chose de l’histoire ou de la philologie. Si on lui enseigne à hurler “au loup !” chaque fois qu’on lui parle d’histoire ou de philologie, il y a peu de chance que le dialogue inter-religieux progresse !

Pourtant, les instituts de recherches sont grandement laïques (EPHESS, CNRS) ; l’herméneutique confessionnelle n’y a donc pas sa place. On s’intéresse aux textes pour ce qu’ils révèlent ou transforment de la réalité sociale et réciproquement. En sorte que les accusations de partialité deviennent une insulte au travail de l’historien soupçonné chaque fois que son travail échappe au contrôle des institutions de l’ECAR . F. Laplanche explique cela tout à fait largement avec des exemples documentés. On est donc dans l’interdisciplinarité depuis …. environ 1924 et non dans le travail solitaire et mono-idéiste qu’imaginent les croyants de base

Les questions du public cultivé

Le livre de F. Laplanche répond du même coup à la question du public cultivé : Pourquoi trouve-t-on en anglais (et en allemand) des articles interessants dont on ne trouve pas l’équivalent en français ?? Et pourquoi dans les milieux francophones ne parle-t-on pas de la defection de Lüedemann ? non plus de la condamnation de Tamayo en 2003……

Les pays anglo-saxons sont pluri-chrétiens et, de ce fait, habitués au débat dans un certaine transparence. Au contraire, dans les pays du sud de l’Europe, où l’ECAR fut dominante et l’est parfois encore, la transparence n’est pas de mise et, d’ailleurs, n’aurait aucun succès car les ouailles ne sont pas habitués à la culture biblique, n’achètent pas de livres d’exégèses non plus que de théologie; ils achètent des livres de piété. (se reporter au dernier chapitre, celui qui précède les notices bibliographiques)

Le travail exégétique sépare le travail historien sur les origines du christianisme du bien fondé des revendications de telles ou telles églises (en particulier en relation avec l’oecuménisme) ; de nos jours, il se fait en équipe largement internationales, inter-confessionnelles (athées y compris,).L'’un des meilleurs spécialistes du christianisme évangélicaliste échappe au clan chrétien et agnostique du christianisme : Mokhtar Ben Barka. De ce fait, on ne peut plus dire n’importe quoi sans risquer de se voir contredire, e.g., : que l’encyclique Divino Afflente Spiritu aurait résolu les problèmes des chercheurs catholiques (surtout les religieux de nos jours, mais dans les années 1920-1930, cela concernait aussi “l’intellectuel catholique”.[8]

Si les articles intéressants en matière de religion sont le plus souvent en anglais, en allemand ou en italien c’est (aussi) parce que la culture religieuse chez nous est quasiment agonisante. La France est majoritairement catholique (d’un point de vue statistique en tout cas) mais la triste vérité est que la plupart des catholiques français ne le sont que pour les grandes occasions (naissance, mariage, décès) et vivent en agnostiques le reste du temps. Peu éclairé de l’exégèse et des débats théologiques contemporain, le catholique se désintéresse de son église ; le systeme est donc un cercle vicieux. Un sondage le montrait voici quelques années: la religion n’est un facteur important de leur vie que pour un tiers des Français. Pas de quoi s’étonner, donc, que l’exégèse se porte mal chez nous, puisque il n’y a pratiquement pas de public pour s’y intéresser de toute manière.

François Laplanche s’inscrit dans la continuité du travail commencé par Emile Poulat dans les années 60 et le complète. Tout l’intérêt de l’ouvrage est qu’il s’appuie sur des archives et de la correspondance privée à laquelle E. Poulat ne pouvait avoir accès. Il montre comment
l’ECAR nomme un cours d’eau qui se perd dans les sables d’une analyse hypercritique. l’exercice normal du travail scientifique sur les textes et leurs contextes socio-historique tel qu’il se pratique pour Homère, Platon, Marinus de Naplouse. Au contraire, l’ECAR souhaite depuis qu’elle n’a pu interdire toute publication scientifique que l’apologie soit le plus possible mélangée aux travaux de recherche qui, de ce fait, perdent leurs caractères scientifiques.

François Laplanche explique dans son bouquin :

  • les causes de ce phénomène,
  • les moyens mis en oeuvre pour y parvenir (institutionnels ou informels)
  • les méthodes de traque des contrevenants (au besoin en inventant les contraventions)
  • la liste des personnes condamnées et des ouvrages récusés (depuis acceptés avec le temps)
  • es modes de défense des accusés (spécifiquement avec leurs correspondances privées)

Tant que les catholiques ne seront pas au clair avec la crise moderniste, ils seront inaptes au dialogue interreligieux et c’est bien dommage.

notes

  1. ↑1 Le Christianisme en accusation, Desclée de Brouwer, Paris, 2000
  2. ↑2 comprendre ECAR : Eglise catholique apostolique et Romaine
  3. ↑3 “les dérives exégétiques sont plus néfastes que les bénéfices qu’un Lamda quelconque pourrait en tirer de sa lecture … car exégète ou pas chacun écrit pour son clocher” dirait-il cela des travaux profanes sur les écrivans contemporains, tels qu’ils se pratiquent à l’IMEP ? Quand il s’agit d’exégèse biblique, la partialité de l’auteur ressort de la pétition de principe.
  4. ↑4 23 avril 1993, à l’occasion de la commémoration du centenaire de l’Encyclique de Léon XIII « Providentissimus Deus » et du cinquantenaire de l’Encyclique de Pie XII « Divino afflante Spiritu ».
  5. ↑5 En ce qui concerne la série, notons bien que les plus ouverts parmi les penseurs catholiques ne se solidarisent pas : J-F Boyer, le maître d’oeuvre de la nouvelle traduction de la Bible chez Bayard, toujours désireux d’obtenir un imprimatur (comme si une traduction de la Bible avait besoin d’un imprimatur !!!) ne s’est prudemment pas exprimé à propos des séries d’ARTE
  6. ↑6 La présentation de certains résultats du travail des historiens aura pour effet de questionner et critiquer des représentations et convictions de foi de plusieurs parmi les chrétiens. Le fait que le christianisme en ses débuts apparaisse très diversifié et traversé par des conflits de personnes et de tendances théologiques déplacera les représentations trop hâtives et immédiates de la vie des communautés. L’adhésion du Concile de Jérusalem ( Ac 15, 29 ) aux dispositions formulées par Jacques ( Ac 15, 20 ), “frère du Seigneur” ( Ga 1, 19 ), montrera l’influence de la famille de Jésus sur l’Apôtre Pierre et sur l’Église naissante. L’affirmation de l’existence de frères et soeurs de Jésus questionnera la compréhension de l’énoncé dogmatique de la virginité perpétuelle de Marie. La présentation de ces résultats, au-delà de ses effets déstabilisants, invite à un sain travail d’intelligence théologique qui conduira à revisiter la tradition et l’histoire de l’élaboration des dogmes chrétiens pour mieux les entendre et en vivre.
  7. ↑7 le résultat dans le grand public s’exprime ainsi sur les forums “Maintenant il faut relativiser la place de l’exégète au regard de l’analyse historico-critique … car l’exégète n’est pas « l’Histoire » mais l’interprétation du texte sacré ou plus exactement de la pensée de l’auteur … l’exégète dépend donc des sources qu’il utilise pour faire ses interprétations/commentaires … mais si ces même sources sont historiquement fausses au regard de sa perception de la pensée de l’auteur, et qu’il n’en tient pas (ou n’a pas les moyens) compte, quel crédit peut-on lui donner ???”. On comprend que ce croyant “lambda” mélange le travail apologétique de l’exégèse canonique et la critique scientifique textuelle ou historique, qu’il ne sait rien de la méthode historique et de la contextualisation, qui, pour lui, sont forcément “subjectives” donc fausses
  8. ↑8 Sur l’intellectuel catholique, voir un excellent article de la revue mensuelle “Esprit” ce devait être en août 2002)

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