Herméneutiques anciennes

En théologie biblique, la révélation est différente de l’inspiration. L’inspiration divine est un concept hellenistique. La méthodologie du dévoilement ou de la restitution d’un texte se pose 2 questions :

  • quel statut donner aux scripteurs (car le terme d’auteur pose lui aussi des problèmes !) du texte biblique ? Inspiration, diction (inerrance) ?
  • dans quelle mesure l’interprétation du lecteur doit-elle être prise en compte et est-elle valide (par rapport à la Tradition religieuse et à une lecture collective représentative de ce groupe) ?

le statut du texte et la notion d’inspiration dans l’Antiquité

D’Homère à Platon (Ion et Phèdre), le poète, voire l’homme politique (cf.Platon, Ménon) est inspiré par les dieux (enthousiasme = possession par le dieu, Socrate parle de son daemon qui n’a rien d’un démon mais dont le sens est à rapprocher de l’ange gardien de certaines croyances chrétiennes, la muse) ; il n’est d’ailleurs plus maître de lui lorsqu’il compose (cf. Ion : jeu de mots en grec entre « être inspiré » et « être possédé, appartenir à la divinité »).

Il en est de même du prophète de l’Antiquité, i.e. la Sybille de Cumes qui est possédée par le dieu dès qu’elle est sur son trépied. La définition du prophète dans la Bible (celui qui parle devant le peuple, qui interprète pour les autres la parole qu’il a reçue de Dieu qui est bien différent du devin qui prédit l’avenir). C’est pour cette raison que Platon refuse le statut d’art (teknè : activité humaine) à la poésie. Après ce détour par le grec, on rencontre la même conception dans l’univers sémitique, notamment chez Philon d’Alexandrie, juif, célèbre commentateur de la Torah : l’écriture ne saurait être douteuse : elle est l’expression d’un « logos sacré ».

Car le prophète ne publie absolument rien de son cru, mais il est l’interprète (herméneus) d’un autre personnage, qui lui souffle toutes les paroles qu’il articule au moment même où l’inspiration (enthousia) le saisit et où il perd la conscience de lui-même, du fait que […] l’Esprit divin visite et habite la citadelle de l’âme et qu’il fait retentir et résonner de l’intérieur toute l’instrumentation vocale pour manifester clairement ce qu’il prédit (De specialibus legibus, IV, 49 [en]).

Cela arrive à la race prophétique: l’intellect (le nous [grec]), en nous, est chassé au moment où arrive le souffle divin; car il n’est pas permis que le mortel cohabite avec l’immortel. C’est la raison pour laquelle le coucher du raisonnement […] engendre l’extase et le délire venu de Dieu (Quis rerum divinarum heres sit, 225).

Pour Philon, la vertu de l’inspiration est également le lot des traducteurs de la Bible dite des Septante, lesquels, affirme-t-il, prophétisèrent comme si Dieu avait pris possession de leur esprit […] chacun sous la dictée d’un invisible souffleur (De vita Mosis II, 37[en]). Et l’auteur d’aller plus loin, déclarant que l’interprète véritable des Écritures, c’est-à-dire le commentateur allégorique, lui-même en l’occurrence, est également inspiré tout comme les prophètes, dont le modèle est Moïse, à la lignée desquels il appartient. Ce concept d’inspiration s’étend aux commentateurs comme aux traducteurs (cf. Septante, comme l’exprime le mythe des 70 ou 72 traducteurs enfermés dans la solitude de leur cellule et rendant leur copie identique au bout de 70 jours). On comprend, dans ce contexte, l’interdiction d’écrire la Loi orale qui prévaut jusqu’à la fin du Ier siècle car l’interprétation figée par l’écrit ne peut plus être donnée pour prophétie, fruit de l’inspiration divine.

25 siècles d’herméneutique

L’herméneutique inspirée – voir ci-avant - évolue au fur et à mesure que la compréhension du monde et de l’homme change. L’Iliade est « écrite » dans l’épistémè de la pensée bicamérale, épistémè qui disparaît progressivement pour faire place à la première objectivité d’un Platon puis d’un Aristote. Cependant la direction de la cité est toujours d’inspiration religieuse et les philosophes devront – jusqu’à Galilée au moins – laisser une place importante à l’herméneutique inspirée. Le même phénomène se produit en parallèle dans les épistémès judaïque puis musulman.

La dédivinisation du monde voit la naissance de nouvelles manières de faire l’herméneutique des textes sacrés et profanes. On peut s’interroger sur l’existence d’herméneutiques propres à chaque épistémè : Renaissance, Age classique, modernité, hypermodernité – c.f. Michel Foucault Les mots et les choses.

la suite sous peu

Bernard Chambré
Conférence donnée à Louviers en 2004

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