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Rouah

DÉSIR d'ORIENT

Les philosophies et les religions orientales, que ce soient les versions populaires hindoues ou plus tard, le bouddhisme zen puis aujourd'hui le bouddhisme thibétain sont entrées en France depuis les années 1968, témoignant d'un appel vers "autre chose" que les religions occidentales ne prendraient pas ou plus en compte. Pour se faire une idée, le bouddhisme est la 4ème religion de France avec 800 000 adeptes.

On se demande donc pourquoi nous sommes fascinés par cet autre que nous même que représente cet orient ; au delà des motifs proprement religieux, qu'est-ce qui nous oriente vers cette autre chose ?

Etat des lieux

On assiste à un reflux d'orientalisation un peu semblable à ce flux d' occidentalisation du monde connu qui eut lieu à la fin du 19ème siècle. Elle produit un enrichissement de ces valeurs qui ont triomphé un peu partout de par le monde. L'Orient permet à l'Occident de découvrir une part de lui-même. Il exprime une religiosité qui ne peut s'exprimer dans les grandes églises historiques.

Les philosophies orientales comblent des manques qui ne sont pas pris en charge par les modèles occidentaux d'aujourd'hui. Il est intérieur avant d'être géographique qand les religions et philosophies orientales permettent une intégration où le sujet reproduit son unicité et intègre son instance spirituelle à une communauté. Chose que ne permettent plus nos systèmes symboliques occidentaux sauf en des dérives identitaires que j'appelle d'ordinaire "esprit chalcédoine" .

Cet esprit de forteresse n'est pas propre au catholicisme quoiqu'en Europe,. Les mouvements nationalistes en annexent une branche (France catholique). Par exemple, le souvenir de Jeanne d'Arc, sainte Jeanne d'Arc pour les catholiques, est confisqué par un parti d'extrême droite.

Je connais mal la société américaine où cet esprit chalcédoine aux dires de la presse, semble le fait des mouvements fondamentalistes protestants, parmi lesquels les "angry white men" qui craignent une révolution culturelle qui les priverait du pouvoir... que la masse d'entre eux n'a pas ; généralement, ils s'allient aux républicains (sens américain du terme). Le point commun entre ces mouvements consiste à accentuer l'aspect "confessant" de leur dénomination, y ajoutant des éléments relatifs à la "pureté" qui se décline sur le plan racial, moral centré sur tradition conçue comme "naturelle" facilement axée sur le génital, politique centré sur la nation, en étirant à peine, sur la race blanche et le christianisme annexé comme spiritualité de référence. Parallèlement, pour les mouvements identitaires blacks, ceux-là qui ont incorporés le décri des cultures africaines, l'islam inculturé, joue ce rôle de spiritualité de référence (FaraKhan). Se situent aussi dans ce national populisme, Bossi en Italie, Heider en Autriche. Je crois savoir que la construction européenne donne aussi du grain à moudre à des régionalismes séparatistes flamands du type Vlaamsblock.

Des partis fascisants développent la critique d'une idéologie fin de siècle qui serait "décavée" où reviennent strictement les thèmes de la désagrégation de la société traités dans La croix du 5 mai 1889, à ce détail près que la critique contemporaine substitue le mot "SIDA" au mot "SYPHILIS". Sur ce terreau là, tous les sursauts et les pires sont visibles de l'autre fin de siècle à notre fin de siècle ; ils se traduisent en refus de l'autre qui peut être ;l'inattendu, en protection de l'identité, en protection du patrimoine et de la tradition.

(Riou, dictionnaire d'une fin de Siècle)

Au contraire, l'orientalisation intérieure rompt l'isolement du sujet dans son "cogito ergo sum in archem meum" qui enferme l'homme occidental dans son identité individuelle. A la Foi en une transcendance se substitue l'accord avec soi même et le monde. Il ne s'agit plus de dominer mais de respecter l'autre, lequel n'est plus objet (étymologiquement jeté devant soi) qu'il faut maîtriser. Dans cet autre qui se fait partenaire, D. fait partie de cette altérité... L'accord du moi et de l'autre suppose une perte d'une partie du moi dans l'autre. Alors, l'harmonie avec D. et avec soi peut s'exprimer telle que le proposait Rimbaud : "Je est un autre". l'Aparva Veda, parlant de l'odeur de D. (compris comme Père) rejoint dans sa structure certains poètes mystiques contemporains.

Cependant, au dix-neuvième siècle, le moi-harmonie tel que Fourrier l'exprime dans ses textes sur l'utopie du phalanstère peut constituer, me semble-t-il, une semence de cette pensée du non enfermement de soi à soi et de soi aux autres, du lâchez prise. Lu Yun, poète chinois, s'exprime de la même manière.

Monts et vallees

Quel est le manque de nos religions occidentales dans l'état où elles sont ?. Par la perte de l'expérience mystique reliant l'homme à la transcendance, elles cristallisent l'expérience du manque dans l'expérience de la ville moderne : lieu de rupture géographique, rupture économique, rupture écologique, rupture sociale. Cette expérience de rupture avec la Déité, analogue à la chute s'actualiserait sans cesse au lieu de se situer in illo tempore. On pourrait parler d'écartèlement de l'âme auquel les techniques orientales proposent un remède dans une pratique qui permet de recomposer son unité et son intégration au principe divin.

"Si nous ne connaissons pas la profondeur de l'origine, nous ne sommes pas libres. Au contraire si nous la retrouvons, notre esprit s'évanouit comme dans le sommeil"

(traité zen Jin Jin May)

Toutefois, à mon sens, cette expérience de la chute constitue une "eucharistie" en creux. En effet, si j'ai compris ce que j'ai entendu de la spiritualité catholique, l'eucharistie est le dernier grand mythe occidental. Quand je dis mythe, je ne dis pas "faribole"; je parle bien de cette entité théologique constituée d'un récit performatif qui, au moment où l'aède le dit (en cette instance, le prêtre) reconstitue le monde un instant dans l'âme du myste, de l'initié (en cette instance, le fidèle catholique). Dans ce contexte de ruptures évoquées, l'institution romaine fait preuve d'une grande sagesse en rendant obligatoire la participation à la messe dominicale, lieu où se reconstitue l'unité de l'âme du fidèle et de son D., si l'on perçoit la dimension mystique de la chose.

Aussi, j'entends le "Qu'ils soient Un comme mon Père et moi sommes un" différemment des interprétations les plus usuelles. Dès que la pensée oecuménique la plus courante cesse de l'agiter sous le nez de l'hérétique, censé être ferment de division, autant dire Satan, pour revendiquer un oecuménisme de la reconquête de parts de marché, la spiritualité catholique fonde dans cette déclaration la divinité de Jésus. On ne peut exclure toutefois, cette autre interprétation qui ne sollicite pas du tout le texte, que Rabbi Ieschwa décrive dans cette parole, un état proche de la possession mystique..... possession, je veux dire enthousiasme au sens grec du terme, état connu aussi sous le nom "d'oraison mentale" dans la spiritualité ignatienne, et galvaudé presque partout ailleurs, sous le nom d'extase mystique. A noter que cette seconde interprétation s'ajoute sans dommage pour ceux-là qui pensent que Jésus est D; et convient à ceux-là qui pensent différemment, qui ne voient en lui que, et c'est déjà beaucoup, la Parole incarnée. Au contraire, pour cette autre catégorie de chrétien, l'étude de l'Ecriture ou l'enseignement du Passeur de Parole, c'est à dire la quête de D. dans le témoignage, est le lieu de cette rencontre ; la méditation devient le support de cette oraison. "Prier la Bible" dit-on en Patois de Canaan. On comprend alors que, dans cette dynamique, la Cène soit explétive et avant tout la célébration d'une absence assumée.

Ecologie du quotidien

Dans la pratique, la discipline Zen permet de rattraper le sens du divin perdu, d'une certaine façon de remettre du magique dans le réel. On parle de point de vue holistique, i.e. de la conscience de faire partie d'un tout, de l'expérience du sacré du monde dans sa perspective quotidienne qui s'opposerait au fantasme de l'Un des traditions occidentales.. On oublie juste que les traités d'alchimie médiévaux , disaient "Coincidencia oppositorum" ou, plus récemment, que C.G. Jung parlait de l'entièreté, exprimant la recherche d'une cohérence dans la pluralité. Le symbolique permet de retrouver du sens là où la science n'en produit plus depuis la fin de l'illusion du progrès continu que proposait l'utopie positiviste. L'orientalisation intérieure ne nie pas la science ; elle constate que la science échoue à donner un sens unifiant au réel malgré l'effort de le retrouver au travers des courants émergeants "sciences et éthique".

L'efficacité, si l'on peut dire ainsi, du bouddhisme consiste à apporter des solutions pratiques pour se faire du bien qui peuvent coïncider avec les systèmes scientifiques et/ou chrétien : la pratique d'un régime oriente la vie quotidienne dans ses petits moments, accentue l'attention sur le présent, renoue les fils d'un présent dispersé et lui donne un sens plus vaste. On revient sur une culture de la responsabilité de se considérer avec bienveillance, de la recherche du vrai désir. On se considère, on se fait du bien, on éprouve l'expérience de l'interaction du corps et de l'âme (expression dualiste utilisée par pure commodité) dans sa vie quotidienne.

Quant à moi, je connais une autre semence à cette orientalisation intérieure dès le Nouveau Testament, dans "Aime ton prochain comme toi-même". Quelques uns qui me connaissent, je veux dire qui ne lisent pas seulement les écrits de ma "personne virtuelle", savent combien je leur "prêche" facilement le "comme toi-même" trop souvent oublié, avec l'arrière pensée que l'accord avec soi-même, par exemple en matière religieuse conditionne la possibilité de rencontrer l'autre. Comme le dit mon philosophe chinois préféré, Li-M'ha Ong, dans son traité des Semences et des Etoiles "avant de prendre l'avion pour voyager au loin, met dans ta poche une poignée de la terre de ton champ" .

On est loin d'un religieux surplombant profanisé dans la politique, la nation et certains aspects de la raison que critiquait Marx. On y recherche une guérison de la séparation entre le corps et l'âme en renonçant au mythe héroïque. Une structure anthropologique orientée vers la profondeur tente de dépasser les clivages du dualisme schématique moderne et recherche l'accord au monde plutôt que volonté de le changer. Elle se distingue du régime paranoïaque de modernité qui sépare radicalement le religieux du monde (l'adjectif mondain caractérise ce qui éloigne du divin) et métanoïaque du post moderne pour qui la conversion est une affaire strictement individuelle quand l'utopie et l'espérance ne sont plus un structurant social.

Ainsi le Divin tend à s'incarner en une "transcendance immanente" dont on croit abusivement quelle est propre aux philosophies orientales. Tendre à revenir en deça la rupture pour retrouver le point d'unité avec la Déité souvent nommé "metanoia" se trouve déjà dans Plotin et doit être rapproché de ce qu'on nomme improprement panthéisme dans la spiritualité rhénane, celle de Maître Eckhart, par exemple. Elle s'enracine dans l'individu et dépasse l'individu. Elle réévalue la notion de D. La Déité de Maître Eckhart entre dans un processus de participation qui ne se résume pas à l'individu mais auquel tout individu participe en une incarnation sans bornes. Tandis qu'en Occident, les religions à enseignement tirent le barbare jusqu'à la connaissance du divin, l'initiation de certaines religions orientales fait ressortir le divin qui est en lui. Ce principe de transcendance immanente épiphanise D. en nous.

Arriver à la fusion metanoiaque avec la Déité était déjà le propos de l'alchimie et mystique médiévale occidentale, malheureusement oubliée sauf dans de petits groupes on ne peut plus marginaux qu'on n'écoutait pas ou peu ; on préférait les persécuter chaque fois que c'était possible, comme ce fut le cas pour les mystiques rhénans, les courants spiritualistes allemands (Paracelse), celui de Madame Guyon (France) au 18ème siècle. C'est donc de l'extérieur qu'on régénère un corps social et c'est toujours le barbare qui en apporte le ferment.

L'orient a un double sens : l'un géographique, l'autre intérieur sert à orienter sa propre vie, si choisir ses fins est le propre de l'homme. Le dialogue des deux se recouvre en partie sans correspondre tout à fait . Henri Corbin parle d'un orient imaginal, plus situatif que situé (Ile Verte de la tradition chiite, terre de Chambala du bouddhisme et le Royaume à construire du chrétien) favorisant une manière d'être au monde. Le mot médiation rend compte de ces espaces intermédiaires de négociation entre les sujets faisant une communauté libre et informelle non encadrée par des règles, où l'imaginaire fait sens collectif et commun. Cela fait sens, façon de dire qu'on retrouve le sens authentique des choses.

Le Mulot

Recension et réflexion guidée par le travail de 2 sociologues Pierre Le Keo et Michel Maffesoli, du CREDOC (vie quotidienne) entendus dans l'emission de Michel Casenave, Les vivants et les Dieux, 16 Octobre 1999

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