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Rouah

Danse et spiritualité

La danse est aux sources des trois monothéismes abrahamiques. On la retrouve dans le christianisme jusqu'au moyen âge européen. Elle survit encore en Afrique.

Elle est liée à un concept de déité tel Dyonisos pour l'Europe et témoigne d'un élan vers le divin. Malgré une constante répression au travers de toutes les institutions religieuses, constante en Occident, le mouvement hassidique, au 18è siècle en Europe orientale, constitue une résurgence au travers de laquelle les juifs décimés se reprennent en main dans une visée spirituelle mystique.

On dispose de témoignages de danses associées à la transe dans les grottes paléolithiques. Elle traduit dans le corps quelque chose d'originaire qui revient par la pulsation d'un tambour dont le rythme est proche du battement du coeur tel qu'il est perçu par le foetus, non par audition mais par pression sur son corps. Elle constitue une expérience d'altérité lui vient du dehors et entre en résonance avec quelque chose du dedans qui met le corps en mouvement.

Plan américain

A travers le rythme, un principe d'ordre devient sacré par l'introduction d'un principe de désordre et réveille une structure rythmique où se côtoie le génétiquement programmé et le passage à la culture qui donne du sens au biologique. Les danses pulsatives réactivent le "oui à la vie" en se situant sur un triple registre : analytique, social et religieux

Le dieu danseur que recherchait Nietzsche passe d'un registre à un autre, de l'inné au culturel. Paul Fenton parle du rapport entre la danse et la religion. On s'aperçoit que David danse autour de l'arche. La danse de David est le paradigme de la danse dans le judaïsme David, (Rois et Samuel v14 et suivants), qui est joyeux du retour de l'Arche un moment perdue chez les philistins. La tradition perçoit la centralité du roi David. "Tous mes membres te célèbrent, ô Eternel." L'exaltation de D. doit se faire par l'expression corporelle. On s'accorde à trouver là l'origine du balancement des juifs en posture de prière.

Il est clair que les danses religieuses vont de pair avec des états modifiés de conscience. La danse et la musique ne suffisent pas mais participent d'une mise en contact avec l'altérité avec laquelle l'art nous met en contact. On n'est plus limité à son moi, on est relié au pulsionnel et au divin. Le sacré de ces danses trouve dans la terre l'origine mais symbolise le passage de la nature à la culture ; on se met en relation métonimyquement avec les ancêtres dans la terre. qui détiennent la clefs du passage de la nature à la culture.

Le battement du pied appelle les énergies et la gestuelle des bras se dirige vers le ciel. L'homme fait le pont entre le ciel et la terre. La danse classique et occidentale éloigne le corps de la terre alors que les sociétés paysannes marquaient le rapport à la terre accompagné par le martèlement des sabots ; relié aux membres du groupe partageant la vibration. Il devient comme un grand corps dansant dont la percussion est le coeur.

Plan rapproché

Dans la tradition hassidique, qui est un mouvement spirituel polonais né au 18èm (1720 1760) fondé par Israël Baal Hem Tov, le corps s'élève de la terre dans l'enthousiasme de la ronde ; il se détache de la terre. Le mouvement s'inspire de la mystique de la kabbale ; le mouvement d'Isaac Loria, né en Palestine au 16è sicle, est son ancêtre. Dans la conception d'Isaac Loria, la danse figurait dans le culte qu'il avait innové. Au moment de l'accueil Shabbat, un instant liturgique de l'ade sghannat, se déroulait une procession dans les champs de Safed pour accueillir la reine de Shabbat. Ce rituel s'est étendu dans les communautés hassidique de la diaspora. Aujourd'hui, cet instant est au moins une ronde autour du pupitre de la synagogue. On tourne autour d'un objet central qui est l'expression d'un objet symbolique.

L'idée centrale de la tradition mystique hassidique révèle un double mouvement : la ligne droite où l'homme est pris dans une situation hiérarchique, mesuré d'un bon mauvais, d'une part, et d'autre part, un ensemble égalitaire, le cercle horizontal où D. considère l'humanité dans son ensemble. Chacun trouve sa place sur le plan de l'égalité ; on se joint les mains ou bien l'on pose la main sur l'épaule de son prochain, montrant une position sociale unifiée.

Il existe aussi un rapport de la danse à la folie que racontent les mythes de Dyonisos. Les Bacchantes et Corybantes sont considérés comme fous ou mélancoliques. Ce regard doit être tempéré par le fait que les Bacchantes sont des femmes qui sortent de chez elles et dansent dans la campagne. L'idée de rupture du conformisme est contiguë à celle de la folie. Les danses extatiques sont utilisées pour guérir comme si la danse est à la fois cause et facteur de guérison de la folie. Ainsi confondus, le mal contient le remède. L'ambiguïté est possible à cause de Dyonisos sur le registre naturel ; il frappe les bacchantes de folie ; il est aussi un dieu artistique qui organise ses pulsions en création musicale et chorégraphique. En Afrique, la danse thérapeutique est couronnée de succès ; elle constitue une alternative à la médecine occidentale.

Répression

La répression de la danse religieuse fut organisée par une coalition d'autorités qui vient à bout de la culture paysanne. Les lumières évacuent la magie et en même temps, extirpent les danses folkloriques et les autres, considérées comme un exemple de refoulement social. Nombre de condamnations conciliaires, promulguées entre les 6ème et 12ème siècle, interdisent les danses dans les églises qui réunissaient peuple et bas clergé.

Les labyrinthes de carrelage tracés sur le sol de certaines églises attestent de la difficulté à faire disparaître les liturgies choréographiques qu'on tenta d'abord de canaliser dans des déambulations déterminées ; la figure du labyrinthe fut métaphore de la descente en soi, utilisée comme technique favorisant l'extase mystique puis détournée comme un substitut symbolique au pèlerinage lointain. L'avènement du diable, au 12ème

siècle, assimile les danses à la relation au démoniaque car, par la transe, on échappe à la cité, à la raison et à aux organisations religieuses.

Pour les communautés d'antan, profondément religieuses, la danse était une expression religieuse. En fonction de l'avancement spirituel du participant, c'est l'expression de la joie de participer au culte et pour l'élite, le tsaddik, le juste, la figure royale de David, la danse prend une dimension métaphysique. Penché sur le calendrier liturgique qui montre un moment exceptionnel et cosmique pour la danse du tsaddik, les fêtes de Tichri et de Simha Torah marquent un équilibre cosmique vu l'équinoxe automnale. Au sein de la synagogue, on se livre à des réjouissances qui font échos aux réjouissances qui avaient lieu au temple à Jérusalem. Le Tsaddik porte un rouleau de la Torah promené au cours de 7 circonlocutions. Il mène la 6ème. Le tsaddik se met à danser et sa danse a un sens spirituel. La chorégraphie est très étudiée. Ses gestes semblent déroutant et ne semblent suivre aucun rythme logique. Sous cette apparence irrégulière, le disciple réalise que le tsaddik dessine de ses pas, les lettres qui montrent le nom de D. Il inscrit le tetragrammme dans le sol.

Phénix

La réapparition d'un certain type de danses en Occident commence avec le jazz. Le concept de "soul" allié à celui de danse coïncide avec la réapparition d'un sacré "même si on ne le sait pas". Cette musique et cette danse mènent à des états de "sacré" profane comme en un appel de sens. C'est un genre de rituel spontané sans mythe qui donne un sens à ce qu'il recherche. Les "ravers" parlent explicitement de transe et évoquent les pratiques chamaniques des bushmens.

Une fusion a lieu dans le groupe en train de se rythmer. Le rassemblement est important. les "ravers" recherchent une vibration collective qu'ils nomment communion. Est-ce de la fusion ? il y a de l'altérité : ce n'est pas une masse non régulée. La fusion est dans l'imaginaire mais il y a de la loi et du symbolique. Tout se passe comme si l'on avait affaire à une pratique religieuse qui ne dit pas son nom.

Le battement techno est plus rapide que celui du cœur ; le coeur se met à l'unisson et introduit une extase au delà du biologique. Si le battement est celui du coeur ému, personne ne peut dire où va le sens de l'accélération, comme un coeur bouleversé qui présiderait à ces rassemblements.

Le Mulot

Recension de l'émission de Michel Cazenave Les Vivants et les Dieux,, chaque Samedi à 8:00 AM, heure de Paris (France) sur France-Culture, le 27 novembre 1999, avec 
. France Schott-Billemann, psychanalyste et danse thérapeute
. et Paul Fenton, professeur d'études juives à Paris IV

 

S'informer

Sur Paul Fenton :

Sur France Schott-Billemann :

Sur la danse Hassidique :