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Homosexualité, Nouveau Testament et théologies protestantes

Trois intervenants se sont d'abord succédés : Antoine Nouis, pasteur à l'ERF Annonciation à Paris, Caroline Blanco, pasteure du CCL (Centre du Christ Libérateur) et Pierre-Yves Ruff, théologien, rédacteur en chef de la revue Théolib et animateur de l'Association pour le protestantisme libéral.

Antoine Nouis

Antoine Nouis explique d'abord ses "présupposés" : il a été très marqué par une expérience dans une communauté mennonite amèricaine et définit sa théologie comme assez proche de l'anabaptisme historique non-violent, avec en place centrale le sermon sur la montagne et un grand intérêt pour les réflexions rabbiniques. Dans sa pratique de Pasteur, il constate que beaucoup de paroissiens attendent que le pasteur soit Dieu, qu'il réponde à tout. Au contraire, il dit essayer de renvoyer les gens à des extraits de l'écriture.

Pour lui, on ne peut pas parler d'homosexualité si on ne parle pas de sexualité, et il ne voit qu'un seul texte qui parle de sexualité, c'est Matthieu 19 où Jésus est interrogé sur la répudiation des femmes et renvoie immédiatement à la Genèse où le créateur qui "au commencement fit l'homme et la femme". Pour lui, cela pose l'anthropologie chrétienne en la matière sur Genèse 1 et 2.

Les Rabbins ont beaucoup réfléchi à l'extrait de Gn 1,26 "Faisons l'homme à notre image" : pourquoi ce pluriel ? Dieu ne peut être réduit à une unicité, l'humain est fait à l'image d'un dieu pluriel, l'image de Dieu ce n'est pas l'individu, c'est l'homme et la femme, le couple en ce qu'il représente l'altérité, la différence, la tension. L'image de Dieu est dans une relation entre deux altérités, qui appelle à une fécondité.

Dans Genèse 3, l'homme est ensuite placé dans un jardin et il a un commandement : tu mangeras des fruits des arbres du jardin mais pas de celui qui est au milieu. Antoine Nouis l'interprète comme un principe de plaisir qui a une limite, qui est de ne pas manger autrui, l'autre. Dieu estime que l'homme ne doit pas être seul, il lui fournit une "aide", mais une aide qui est son vis-à-vis sans être son adversaire. C'est que qui se trouve dans la polarité homme-femme, quelque chose de l'ordre de la confrontation, de l'importance de la différenciation, une façon de se frotter à l'autre. Cela pose à la base, le rapport à l'altérité, le couple homme-femme, la personne en entrant en relation avec un différent de lui-même. Or, dans l'homosexualité, il y a du même. L'altérité est-elle de l'ordre de la relation entre tout individu et un autre ou la différence homme-femme est-elle une condition de l'altérité ? Suivant notre manière de répondre à cette question, il y aura des conséquences.

Un autre passage du texte est l'Epître aux Romains de Paul, car elle est au coeur de notre vision du péché. Tous sont pécheurs. Une partie de Dieu est visible dans la création. On a aurait une sorte de révélation naturelle, de pré-compréhension de Dieu, quelque chose qui mérite le respect, la reconnaissance. Au contraire certains se mettraient à la place de Dieu. Ainsi en Romain 1,26-27 : "C'est pourquoi Dieu les a livré à des passions infâmes : car leurs femmes ont changé l'usage naturel en celui qui est contre nature ; et de même que les hommes, abandonnant l'usage naturel de leurs femmes, se sont enflammés dans leurs désirs les uns pour les autres, commettant hommes avec hommes des choses infâmes, et recevant en eux-mêmes le salaire que méritait leur égarement." Suit une liste de ceux qui sont "dignes de morts" : "rapporteurs, médisants, impies, arrogants, hautains, fanfarons, ingénieux au mal, rebelles à leurs parents, dépourvus d'intelligence, de loyauté, d'affection naturelle, implacables, sans miséricorde". Il y a là-dedans l'homosexualité, certes au milieux des fanfarons, cupides etc. Cela marque un désordre dans le domaine de la création. Cela rejoint les textes de lois comme le Lévitique qui condamne directement l'homosexualité. Antoine Nouis dit ne pas voir dans la Bible de texte regardant de façon bienveillante l'homosexualité.

Se pose donc un problème d'articulation entre loi et foi. Car en tout état de cause, nous sommes sauvés par la grâce, contre notre sexualité, qu'elle soit homosexualité ou hétérosexualité. Antoine Nouis dit que les homosexuels ont leur place parmi les théologiens, leur place dans l'église, comme tous les pécheurs graciés. Si on reste dans des considérations en terme de pécheurs-graciés. Mais pour lui, si on essaye de faire de notre sexualité une oeuvre de salut ou une revendication identitaire, là on retombe dans le registre de la loi et donc de la condamnation. Il insiste sur ce balancement. Soit on ne revendique pas d'identité et on est sous le régime de la grâce, soit on la revendique et alors c'est le domaine de la Loi, qui condamne clairement.

Caroline Blanco

Caroline Blanco a voulu partir de son expérience depuis 1979 au Centre du Christ Libérateur, église regroupant des personnes de sexualité différente. Elle a rappelé qu'elle avait commencé ses études à l'Institut Protestant de théologie se destinant à un ministère social, "quand on est jeune on veut changer le monde". Par l'intermédiaire d'André Dumas, elle a connu le Pasteur Jacques Doucet qui travaillait en direction des minorités sexuelles. Elle l'a aidé pendant 10 ans, avant de prendre sa suite quand il disparut dans des conditions difficiles.

Le CCL est devenu une association cultuelle. "On prie ensemble, on lit la Bible, nous partageons le pain". Leur objectif est que leur église disparaisse, quand les autres églises auront accepté par exemple la bénédiction des couples gays et lesbiens, quand l'homosexuel sera accepté avec l'entièreté de sa vie. Elle raconte qu'elle a déjè fait 400 bénédictions de couples homosexuels. "Je ne me suis jamais sentie coupable de l'avoir fait". Elle raconte qu'il y a toujours beaucoup de préparations, d'engagement, de travail. Après cette expérience, elle veut dire que l'altérité n'est pas seulement dans le fait d'avoir un homme et une femme, car ce serait placer la relation uniquement à un niveau physique et l'amour ce n'est pas physique. Elle cite un couple qui a vécu 34 ans ensemble dans une "vie morale, de fidélité, de lecture de la bible, de prière".

Elle se demande comment il se fait qu'on revienne toujours de la même façon aux mêmes textes de l'ancien testament, même quand on parle de Jésus. Pour elle, si on parle de différence sexuelle à ce moment de la Genèse c'est simplement qu'il fallait procréer. Aujourd'hui, ce ne sont pas les homosexuels qui vont faire qu'il n'y aura pas de génération à venir. Au-delà, il faut le prendre comme un exemple de la "différence". "Nous vivons à une époque où la différence ne doit pas nous déranger."

Rappelant l'intervention de Thomas Römer lors du précédent débat, elle rappelle qu'il faut recontexualiser les versets. Les mots comme homosexualité n'existaient pas à l'époque où ont été écrits les textes, c'est une manière de vivre qui n'existait pas à l'époque. Citation de Paul pour citation, elle invite à lire plutôt Romain 14. "Ne nous jugeons donc plus les uns les autres ; mais pensez plutôt à ne rien faire qui soit pour votre frère une pierre d'achoppement ou une occasion de chute. Je sais et je suis persuadé par le seigneur Jésus que rien n'est impur en soi, et qu'une chose n'est impur que pour celui qui la croit impure... "

Elle voit arriver au CCL des gens qui ont l'impression qu'on leur a volé leur jeunesse parce qu'on les a obligés à cacher leur homosexualité, l'église ne les a pas aidés à assumer cette homosexualité, on ne les a pas aidés à comprendre pourquoi ils n'aimaient pas les gens de l'autre sexe.

Durant toutes ces années au CCL, elle raconte que le principal travail a été double. D'abord de "réconcilier les personnes avec leur foi car quand l'église les rejette, de quoi les homosexuels vont-ils vivre ? Si nous sommes tous des pécheurs graciés, on l'est vraiment tous, et l'homosexuel pas plus que les autres. On est tous au même niveau aux yeux de Dieu". Ensuite de réconcilier les gens avec leur église.

Mais une fois que la personne se sent réconciliée avec sa foi et son église, devra-t-elle couper sa vie en deux quand elle revient dans l'église ? Sans oublier le risque inverse, celui de l'homo alibi : "regardez, on est tellement ouvert qu'on a un homosexuel". La dernière chose, c'est de réconcilier les gays avec leurs familles. "Comme on nous a tout volé, on s'isole, on reconstruit avec les copains." Elle explique que les bénédictions de couple servent aussi à ça, c'est souvent l'occasion de reprendre contact. "A 17 ans, j'ai rencontré le protestantisme par le pentecôtisme. Aujourd'hui, quand je rencontre des pentecôtistes, ils me demandent : alors tu les guéris ? Oui, je les guéris, mais pas dans le sens qu'ils croient. Mais ce n'est pas moi qui les guéri, c'est Dieu. Parce que je crois que la bible c'est bien plus que des versets, la bible donne la vie, elle a donné la vie à beaucoup de gens du CCL." "Nous sommes différents et Dieu aime la différence".

Pierre-Yves Ruff

Pierre-Yves Ruff rappelle qu'il a participé à la rédaction "Bénis soient les PACS" qui a permis de lancer le débat dans un synode... Suisse.

Il explique que le sujet "Nouveau Testament et homosexualité" lui a semblé saugrenu. Il a pris sa concordance et a cherché à sexe, sexualité, homosexualité, hétérosexualité. Il dit n'avoir trouvé que le mot sexe, et encore une seule fois. Un hapax. 1 Pierre 3,7 : "Maris, montrez à votre tour de la sagesse dans vos rapports avec vos femmes, comme avec un sexe plus faible". Il est ici question de sexe faible au sens d'inégalité physique. Le rapport est donc vague. L'apôtre Paul évoque la façon de se tenir en société mais il ne parle pas de vie sexuelle.

Le Nouveau Testament aurait donc fait l'impasse sur le sexe. Dans le premier Testament, au contraire on en parle et de façon crue : oubli de s'habiller, concours de coucheries à des fins procréatrices, femmes qui se déguisent en prostituèes avec succès... La culture hébraïque n'a pas de problème avec cette question. Il faut donc voir qu'il y a un tournant avec l'évangile : le sexe disparaît des préoccupations. On ne se demande pas qui couche avec qui.

Au moment de la Renaissance, il y a eu des débats sur la vie sexuelle de Jésus de Nazareth. On faisait des tableaux montrant Jésus en érection. (Cela rappelle les considérations de Tertullien pour savoir si Jésus mangeait sans déféquer.)

Pourtant, que serait une incarnation sans désir ? Que disent les Evangiles sur le désir ? C'est bien ou mal ? Mauvais ou pas ? Paul dit : restez ce que vous êtes car la fin du monde est proche. Jésus semble silencieux sur le sujet. Pourquoi ? la réponse se fait pour lui à deux niveaux :

  • la question de l'économie
  • celle de la théonomie ou de la théocratie.

L'économie est è comprendre dans un contexte grec, c'est tout ce qui est dans la maison, la famille, la sexualité et qui n'entre jamais dans la sphère publique. Jésus n'aborde jamais cette économie. Il ne fait jamais de visites privées. Il vient quand on demande à le voir et ses visites sont publiques. On ne dit pas si Jésus - ou ses apôtres - avaient des copains et des copines. La vie intime n'est jamais abordée. Cela serait obscène de l'aborder, c'est la culture hellénique : l'intimité doit être respectée.

L'homosexualité est un problème contemporain. En même temps, alors que la culture hellénistique était dominante depuis plusieurs siècles, et qu'il pouvait donc y avoir des interpellations sur la forme de l'homosexualité de l'époque, Jésus et ses disciples n'en parlent jamais. Parce que cela ressort de l'économie. On n'en parle pas car on n'a pas à juger.

Le deuxième débat est celui de la théonomie et de la théocratie.

  • La théonomie est l'application d'une loi directement venue de Dieu. Or, elle a été écrite sur deux pierres, brisées aussitôt qu'écrites. Il faut rappeler que le pasteur a la même robe que les magistrats. Mais le juge a un seul rabat blanc, le pasteur en a deux, les tables de la loi brisées. Le juge applique la loi parce qu'il la connaît, le pasteur indique le chemin car il ne connaît pas la loi. Il faut résister à l'idée que nous connaissons la loi.
  • La théocratie est l'idée que Dieu en personne gouverne le monde, lui indique un programme et donne toute loi dans tous les détails de l'existence. S'il y a une loi naturelle - la gravité par exemple - elle s'applique è tous.

Dans le protestantisme historique, on a du mal à différencier théonomie et théocratie.

La théocratie laisse la place à une théologie de la grâce, la théonomie à une théologie des oeuvres et du jugement. Si j'ai un monde gouverné par Dieu, une théonomie, bien des choses m'échappent que je ne peux comprendre : pourquoi par exemple nous sommes des êtres sexués, comment s'opère la jonction entre le corps et la pensée. A ce moment là, la sexualité est l'occasion d'un partage et d'une joie, comme je peux le découvrir dans la vie et dans la Bible.

Le protestantisme est-il théonomie ou théocratie ? Que font les tribus protestantes ? Selon les pays, cela peut être une chose ou une autre. Dans les pays d'Europe du Nord, tout est relu au moyen de l'amour et il y a des bénédictions de couples gays. En Amérique, cela peut-être punis de mort. Entre ceux deux modèles, le protestantisme n'a jamais vraiment choisi.

Pourtant, le Nouveau Testament ne dit rien. Si je calque mon approche sur celle de Jésus, Christ, qui ne parle jamais de sexualité, n'aborde pas la question de l'homosexualité je dois admettre que ces questions ne relévent pas de la foi : la normativité n'est pas objet de la foi. A dire le contraire, certaines formes de protestantisme ne sont pas fidèles à la Bible.

  • D'un côté, un certain protestantisme est de plus en plus proche du catholicisme, qui donne plus d'importance aux oeuvres qu'à la grâce... et certains méthodistes ou catholiques apparaissent plus ouverts.
  • De l'autre on a une théologie de la grâce, Dieu nous aime tels que nous sommes, quoi que nous soyons. Vivons dans la foi et plus dans la loi.

un débat suit

Quelqu'un demande si pour les intervenants l'homosexualité est un péché. Caroline Blanco dit que pour elle la situation de pécher est l'absence de Dieu et donc pas spécifiquement l'homosexualité. PY Ruff dit qu'il ne sait pas ce que veut dire le mot péché.

Quelqu'un se met en colère racontant qu'il a été élevé dans une église baptiste et que quand il y avait des images de gays à la télé, les gens crachaient sur la télé. Il raconte l'histoire d'un ami à lui, dans un milieu évangélique, homosexuel qui était malade du Sida, qui n'avait jamais pu l'assumer. Il a craqué le soir de son mariage, dans la chambre à coucher, quand il s'est retrouvè devant celle qu'il venait d'épouser.

Quelqu'un cite la figure du disciple que Jésus aimait.

Quelqu'un demande pourquoi la revendication identitaire ferait sortir de la grâce. Si se revendiquer noir ou blanc fait sortir de la grâce. Qu'est-ce qu'une revendication identitaire ? Est-ce que se revendiquer pécheur-gracié n'est pas une identité ? Antoine Nouis répond qu'être pècheur-gracié transcende justement nos identités sociales, c'est l'utopie de l'église que l'identité sociale est dépassée.

Caroline Blanco explique qu'il y a des moments où il faut employer un mot pour défendre une cause, dans un contexte précis. Quelqu'un se demande si ce n'est pas la société, les églises qui enferment dans une identité, poussent à des revendications identitaires - et donc pousseraient selon ce raisonnement hors de la grâce - quand elle refuse certains droits, excluent des personnes.

Quelqu'un - se définissant comme catholique pratiquante et homosexuelle - dit que ce qu'elle cherche dans l'église, c'est l'amour, que si elle se concentre sur les pêché, elle perd la foi. D'ailleurs, ce n'est pas ce qu'elle trouve dans la Bible préférant citer Jean 8,16 (la femme adultère) : Jésus s'adressant aux pharisiens, "vous jugez selon la chair, moi, je ne juge personne". Elle dit : "Des juges et des exterminateurs, j'en aurai. Mais des saints, c'est dur à rencontrer. Pourquoi aller chercher dans les textes ce qui vous condamne alors que ce qui nous sauve, c'est la vie ?".

La personne qui s'est mise en colère au début reprend la parole en s'excusant de sa colère mais en expliquant qu'il se vit des choses dures dans les églises. Il cite encore quelqu'un refusé sur un bateau de Jeunesse en Mission parce qu'il était gay, des gens extraordinaires expulsés de leurs églises, même s'ils ont 50 ans. "Moi je suis homo, qu'est-ce que je dois faire ? demande-t-il. Je pense à la parabole des talents : faire au mieux avec ce qu'on m'a donné. La vérité est dans les marges, elle est aussi chez un homo qui cherche Dieu."

Caroline Blanco en conclusion regrette, en s'appuyant sur l'exemple du PACS, que l'église avance moins vite que la société car cela devrait être le contraire. Elle souhaite qu'on puisse avoir des églises qui accueillent tous et on pourra découvrir beaucoup de différences, que l'église soit enrichie par un discours pluriel. Qu'on découvre aussi que l'identité d'une personne n'est pas que sexuelle.

Antoine Nouis conclue en disant qu'il cherche que son pastorat soit une occasion et son église un lieu de parole, où les gens puissent poser la parole, même quand elle est marginale. Pour cela il faut que dans l'église il y ait assez d'amour, de respect, de bienveillance. Il veut aussi se confronter avec le texte biblique, tout le texte biblique, même quand il gêne, sans le noyer dans le contexte. Pierre-Yves termine en disant que tous peuvent être bénis, qu'il faut refuser toute forme de discrimination, ses voeux ne concernaient pas que les églises, qu'il souhaitait que chacun soit heureux, dans l'église ou sans église.

Propos recueillis par Stéphane Lavignotte

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