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Le temps et l'éternité chez Plotin

LECTURES DE LUCIEN JAFFAGNON

Chez Platon : le temps est l'image mobile de l'éternité ; ultérieurement, chez Aristote le temps est la mesure du mouvement. Plotin détermine un temps de l'âme, celui de l'éternité de l'Un avant même qu'existe un Etre quel qu'il soit, de sorte que, l'éternité se dégrade dans le temps et que la conversion consiste en un retour vers l'éternité.

Plotin dit que nous sommes amphibies, que nous vivons sur deux plans. Notre âme a une vocation spirituelle ; elle ne supporte que le bien absolu ; elle n'est chez elle que dans l'éternité, celle de l'Un absolu dont elle est l'image.. Elle est cependant sollicitée, instant après instant, par ce corps qu'elle anime. Par comparaison avec le temps que nous gérons : de même, nous aspirons au temps de la méditation ou de la réflexion tandis que nous sommes absorbés dans les tâches contingentes du quotidien. Chaque âme est un point de tangence avec l'éternité.

QU'ENTEND PLOTIN PAR ÂME ?

Plotin emploie ce mot au sens néoplatonicien, à savoir l'intermédiaire entre ce qui est intelligible et ce qui est au-delà. Cette histoire d'âme et de corps ne se comprend que dans sa vision du monde qui n'est pas statique. : le monde surgit à chaque instant sous ses yeux, se met à exister , à bouger et nous sommes impliqués dans cette perspective. Au principe est l'Un absolu qui n'est pas un Etre Suprême (un être "personnel"), et de sa plénitude subsistante dérive tout à chaque moment de ce que nous appelons le temps.

L'Un engendre l'intelligence, ce lieu de l'intelligence du monde entier (nous), le lieu des concepts, des archétypes, qui engendre l'âme du monde (au sens où l'entendent les stoļciens) cette âme du monde est axée sur l'Un. Nous en sommes une partie. Toute une partie de nous-mêmes est orientée par l'esprit tandis que le reste (qui pourrait être le corps ou la matière pour adopter une expression dualiste familière au langage courant) est embringué par le temps, le successif alors que nous ne sommes heureux (serions) que dans le Bien, l'unité absolue. Nous sommes une dispersion qui voudrait retrouver son unité absolue et ne peut la retrouver que par étape. (Ennéade 3 ?)

Le Un absolu ne se confond pas avec Etre suprême qui n'est qu'une figure "personnelle" du principe Divin. Si cette phrase semble confuse, il faut la replacer dans le cadre de la réflexion des mystiques juives qui réfléchissent à ce qui se passe dans l'immédiat moment d'avant la création qu'elles signifient par une réflexion sur l'insondable entre l'aleph manquant dans Berechit, cet aleph éternel d'avant le Beth initial de "Berechit".

De même, l'éternité n'est pas un temps qui n'a pas de fin comme veut le manifester cette réflexion humoristique attribuée à Woody Allen "L'Eternité, c'est long surtout vers la fin". Elle est avant le temps. Notre façon judéo-chrétienne mais spontanée de concevoir, voit un monde qui a un commencement et une fin. On imagine l'éternité comme "après et avant" et comme un temps qui n'en finit plus. Dire que l'éternité commence est une douce stupidité. L'éternité est, à chaque instant tangente. A chaque instant, existe un point de tangence à l'éternité, contraire cette envie de mesurer le temps. Bergson, lecteur de Plotin, montre cette hantise. Ce qui importe n'est pas la mesure. Pour Plotin, transcender le temps est essentiel. L'âme qui touche à l'esprit et à la matière se temporalise elle-même pour s'exprimer, exprimer son éternité au milieu de cette succession perpétuelle des choses. "Une vie qui persiste en son éternité qui n'est pas ceci ou cela mais une perfection indivisible" Plotin, Ennéade

COMMENT L'ERTERNITÉ PRODUIT-T-ELLE DU TEMPS ?

Ce problème se pose depuis le Timée de Platon. Nous sommes dans la caverne. Ce que nous voyons n'est pas ce que nous souhaiterions voir. Notre désir d'éternité ne trouve pas sa satisfaction ici-bas "Là-bas" dit Plotin pour exprimer le contraire d'un univers du jour le jour. Notre condition consiste cependant à tenir les deux bouts de la chaîne. Notre âme n'est heureuse que dans l'éternel (dans l'Eternel) et cependant tentée par le temporaire. "Fuir seule vers le seuil passé du temps, vers l'éternité" où notre histoire ne sera plus qu'un seul point intensément vécu dans le "Tota simul" d'Augustin, mais la présence soudaine devant le Divin qui lui donna "de quoi être" de tout ce que nous avons vécu pour le meilleur comme pour le pire.

Conversion, Metanoļa, T'chouva désignent ce mouvement de retour de l'âme vers sa source, comment elle se reconcentre en elle-même dans son cheminement vers l'Eternité. Comment de l'un et du même procède-t-il du multiple et du temporaire ? Pourquoi ce Un éternel donne-t-il quelque chose qui n'est pas Lui ?. Plotin ne donne pas de réponse. Il essaie de donner un sens au monde tel qu'il le vit après son maître Amonios Sakkas qui n'a rien écrit du tout. Tout est inadmissible de notre vie : cette séparation, ce "mal". Il faut lui donner un sens comme dans les mythes. Pourquoi D. crée-t-il Adam et Eve pour les autoriser ensuite à sortir du paradis ? Pourquoi D construit en 7 jours un monde mal fichu ? Doit-on accorder crédit à cette réflexion d'un athée de base "qu'il aurait mieux fait d'y passer plus de temps et que le monde ait du sens" ? Plotin comme Platon prend en compte ce monde comme il est et lui donne un sens, un peu comme approchant un aimant d'un tas d'épingles, elles s'orientent à peu près toutes dans le même sens et dans cet "à peu près" gît l'inattendu . Un être ne vaut que par le degré d'unité qui est le sien qu'il soit pierre ou qu'il soit homme. Comme toutes les philosophies, c'est : "une manière de dire un état violent". Plotin avait honte d'être dans un corps ; son biographe, dans la Vita Plotini, témoigne qu'il était anorexique. "J'essaie de faire remonter ce qu'il y a de divin en moi à ce qu'il y a de divin au delà de moi". En quelque sorte dans le "monde des idées," car Plotin est un exégète de Platon qui a lu Aristote et tous les stoļciens. Il trouve une explication à l'insatisfaction foncière qui est la nôtre, à la séparation.

LE TEMPS EST-IL LE MOUVEMENT DE DISPERSION DE L'ÂME ET DE LA PERTE DE L'ÂME DE L'ESSENCE DE SOI ?

L'âme perd son temps quand elle se perd dans le temps, infidèle à sa propre nature. Elle se multiplie au fil du temps et chacune des plaisirs éphémères tourne le dos à sa véritable essence. Elle est faite pour être magnifiée par l'absolu de l'Un.

Ainsi, Plotin préconise l'ascèse pour le corps et l'abstraction pour la pensée comme un entraînement à la fusion mystique. Askesis signifie rupture. Abstraction signifie se dégager du sensible. Aplosis que nous traduisons par extase ne dure que "l'espace d'un instant". Plotin regrettait de n'avoir connu cela que trois ou quatre fois dans sa vie.

Dans cette vision de l'Un qui jaillirait d'une déchirure du temps derrière laquelle se révèle ce qui était caché, (dans Ennéade 3 :11) Plotin dit que l'éternité est au temps ce que le sensible est à l'intelligible. Au fond, on est assez près des formes a priori de Kant. L'âme ne peut concevoir les choses éternelles que sous la forme du temps. Elle les voit successives alors qu'elles sont éternelles. L'âme fabrique le temps, elle ne peut voir les choses que de façon successive sauf cas de Metanoļa, d'epistrophe (retournement) à savoir changement de "nous".

Si l'Un pouvait voir les choses, si l'intelligence comprend que ce sont des manières de dire de s'exprimer, le monde n'est que des instants par irruption de l'Un et retour de l'Un.... Une palpitation qui dure l'éternité. On est acculé vers l'apophatisme.

Damasios, plus tard, écrira des livres entiers pour dire que, pour évoquer l'Un, le mieux est de se taire. L'un étant au delà de tout "epekein apon tanton" il est au delà du langage.

POSTÉRITÉ DE TOUT CELA

Maître Eckhart, pour lequel on ne parle bien de D. qu'en se taisant, en accédant à la contemplation, revisite le sens du "clos-le bec" favori des contempteurs de la théologie pour tous, le "si tu as trouvé une belle formule sur D. , c'est que ce n'est pas cela" d'Augustin.

NE SOMMES-NOUS PAS À L'OPPOSÉ D'UNE "PENSÉE MODERNE" ?

La temporalité définissant l'homme positivement, n'est-elle pas le contraire de Plotin dans lequel "l'homme est la mesure de toute chose" est l'oubli de l'essentiel ? Ne nous contentons de l'aujourd'hui de In-formatio : ce par quoi on donne un être, une forme, un moyen d'expression à une situation, à quelqu'un, à quelque chose. La seule capacité d'être dont nous soyons récepteur, dont nous savons recevoir.

Savoir qu'il y a du vrai et du faux et qu'ils ne se situent pas exactement dans la doctrine où le "faux" n'est pas tout à fait aussi faux et le vrai pas si sûr. Ammonios Sakkas

Le Mulot

Recension de l'emission de Michel Cazenave, "Les Vivants et les Dieux", sur France Culture, chaque Samedi, 8:00 AM, heure de Paris, avec Lucien Jerfagnon.

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